Les compétences-clés en matière de durabilité pour le personnel de direction de la formation continue
Cet article se concentre sur le rôle du personnel de direction dans l’encouragement de la transformation de la société vers un développement durable. Nous y présenterons les compétences nécessaires en nous appuyant sur différents modèles de compétences. Nous ferons aussi le lien entre ces approches théoriques et des connaissances de nature empirique, en vue de proposer des inspirations proches de la pratique à l’attention de la formation continue. Pour cela, nous présenterons les résultats d’une étude qui se fonde sur des entretiens avec plusieurs décisionnaires. Cette étude a mis en exergue la nécessité de combiner différentes compétences telles que la pensée systémique, ainsi que l’importance de certaines qualités comme l’aptitude à développer une certaine résilience.
1 Introduction
Les défis actuels et futurs (tels que le changement climatique, la surexploitation des ressources, le déclin de la biodiversité ainsi que la montée des inégalités sociales, de la pauvreté et de la faim) ont une influence sur les écosystèmes et les sociétés du monde entier (GIEC, 2023; Assemblée générale des Nations unies, 2015). La plupart de ces défis se situent dans les domaines des limites planétaires et sociales, et sept de ces huit limites (outre celles évoquées ci-dessus, on mentionnera entre autres la pollution par l’introduction d’entités chimiques nouvelles, l’utilisation de l’eau douce, la diffusion d’aérosols dans l’atmosphère) sont déjà franchies (GIEC, 2023; Assemblée générale des Nations unies, 2015). Le franchissement de ces limites met en danger la survie de l’humanité et de la planète. Aussi devient-il nécessaire d’amorcer un changement profond aux niveaux économique, politique et social dans le sens d’un développement durable (Rockström et al., 2023; Steffen et al., 2015). Pour ce faire, on appelle fortement, en particulier dans le contexte des objectifs mondiaux de l’Agenda 2030, à agir vite et à large échelle pour instaurer une société durable sur le plan socioécologique (BMZ [Ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement], 2023; UNESCO, 2021; Assemblée générale des Nations unies, 2015). Dans ce cadre, un rôle important revient à l’éducation et à la formation, en particulier à l’éducation au développement durable (EDD). L’EDD a pour objectif de promouvoir les compétences des apprenantes et des apprenants pour leur permettre d’appréhender les défis mondiaux de la société du XXIe siècle et de participer à l’élaboration de la transformation sociale (éducation21, 2018; UNESCO, 2017). Les écoles et les institutions de formation continue peuvent fortement contribuer à développer les compétences de la durabilité, les étoffer et les appliquer dans la pratique.
Dans ce contexte, le personnel de direction de la formation continue joue un rôle-clé, avec le développement et la mise en pratique de stratégies durables au sein de son institution. Il se retrouve donc face au défi d’intégrer des aspects économiques, écologiques et sociaux de la durabilité, et d’ancrer une économie durable dans tous les domaines de son organisation (BMU [Ministère fédéral allemand de l’Environnement], 2008).
Le présent article vise à fournir une meilleure compréhension scientifique des compétences de développement durable dont les organismes de formation continue ont besoin (chap. 2). Dans ce cadre, nous y présenterons les résultats issus d’un projet de recherche empirique qui se penche sur les compétences que les décisionnaires économiques, politiques et sociaux considèrent nécessaires dans la prise de décisions durables (chap. 3). Ces résultats peuvent être reportés sur la gestion d’organismes éducatifs, et contribuer à encourager les compétences de développement durable dans la formation des adultes (chap. 4).
2 Le développement durable et l’EDD dans la formation continue
Aujourd’hui, l’importance de l’EDD pour surmonter les défis complexes du développement durable est reconnue dans de nombreux systèmes éducatifs et, à l’échelle nationale, dans toutes les formes d’enseignement (Michelsen et al., 2015; Wilhelm & Rinaldi, 2023). L’EDD a pour objectif d’aider les apprenantes et apprenants à prendre des décisions durables et de s’engager avec responsabilité en faveur de la protection de la nature, d’une économie stable et de la justice pour les générations actuelles et futures (UNESCO, 2017). Les compétences en matière de développement durable sont essentielles à cet effet. Elles sont décrites comme les facultés, aptitudes et conceptions qui rendent un individu capable d’analyser de manière critique les défis complexes du développement durable, et à en venir à bout au moyen de décisions responsables et axées sur le long terme (Rieckmann, 2018; UNESCO, 2017; Wiek et al., 2011). Les décisions quotidiennes de chaque individu (appelées actions de la sphère privée) jouent certes un rôle, mais les décisions macroscopiques du personnel dirigeant (appelées actions de la sphère publique) ont des impacts de plus grande ampleur sur l’environnement et la société (Kranz et al., 2022; Niebert, 2021; Stern, 2000). Les personnes occupant un poste de direction devraient donc disposer de compétences solides en matière de durabilité, ainsi que d’une compréhension fondamentale et critique du développement durable, afin d’encourager et de faire évoluer avec succès une telle approche au sein de leur organisme et auprès de leur personnel. Dans la section suivante, nous présenterons des modèles de compétences essentiels aux niveaux national et international en matière de développement durable, lesquels peuvent servir d’orientation.
Aperçu: modèles de compétences en matière de développement durable
Au cours des vingt dernières années, un grand nombre de modèles de compétences sont apparus, visant à préparer les individus à surmonter de manière participative, coopérative et ciblée les défis complexes de la durabilité (cf. aperçu du tableau no 1). Pour plus d’informations à ce sujet, il est possible de se documenter sur les modèles de compétences présentés au tableau no 1 que nous expliquons brièvement ci-après.
Dans les régions germanophones, c’est longtemps le modèle des «compétences conceptuelles» selon de Haan (2008) qui a prévalu dans les débats. Celui-ci souhaite encourager l’action autonome et responsable, ainsi que la contribution individuelle au développement durable. En s’appuyant sur ce modèle, Pellaud et plusieurs collègues ont, il y a peu, développé une typologie utilisée par éducation21 et qui s’adresse tout particulièrement à l’éducation scolaire (secondaires I et II) dans les différentes régions linguistiques de Suisse (éducation21, 2023; Pellaud et al., 2021). À l’échelle européenne, GreenComp, le référentiel de compétences de l’UE, constitue une approche stratégique dont l’objectif est de servir de soutien à l’EDD dans le domaine de la durabilité écologique et de s’adresser à un vaste groupe cible dans tous les secteurs de l’éducation (Bianchi et al., 2022). À l’échelle mondiale, l’UNESCO a publié un modèle de compétences qui est axé sur les objectifs mondiaux du développement durable et qui ne s’adresse pas seulement aux différents degrés de l’éducation, mais également au grand public (UNESCO, 2021).
Ce qui est particulièrement intéressant pour la formation continue, c’est le référentiel de compétences Rounder Sense of Purpose (RSP) qui a été mis au point pour le personnel pédagogique dans tous les secteurs de l’éducation. Son but consiste à créer un référentiel orienté sur la pratique à l’attention du corps enseignant, de l’enseignement élémentaire jusqu’à la formation des adultes (Millican, 2022). Son objectif est d’encourager les pédagogues, ainsi que les transmettrices et transmetteurs de savoir, à mettre en pratique une pédagogie transformative, orientée sur l’action, et à stimuler des processus d’action et de pensée créatifs et critiques (RSP, 2019; Vare et al., 2022).
Dans le présent article et la présente étude, l’accent est mis sur les cinq compétences-clés de développement durable qui ont été présentées comme un référentiel universitaire par Wiek et al. (2011, 2015), et développées spécifiquement pour la formation supérieure. Ces travaux sont considérés comme une contribution fondamentale au sujet des compétences de développement durable (Brundiers et al., 2021; Bianchi, 2020) et sont souvent cités (3177 Google Scholar Citations, 05/09/2024). Au cours des dernières années, ce modèle a été régulièrement révisé et a fait l’objet de plusieurs mises à jour (Brundiers et al., 2020; Redman & Wiek, 2021).
3 Aperçu des résultats empiriques: qu’observe-t-on comme compétences chez les personnes occupant des postes de direction dans l’économie, la politique et la société?
L’objectif de cette étude consistait à déterminer les compétences de développement durable dont le personnel de direction a besoin, en vue de prendre des décisions ayant un impact sur la société dans le domaine de la durabilité. Pour ce faire, des entretiens qualitatifs ont été réalisés avec quatorze décisionnaires (six femmes et huit hommes) actifs dans les secteurs de l’économie (p. ex. PDG d’entreprise, syndicat), de la politique (p. ex. membre du gouvernement, porte-parole en matière de politique environnementale) et du social (p. ex. président ou présidente d’ONG ou d’organisations culturelles) dans une région germanophone, et qui doivent prendre des décisions quotidiennes ayant une pertinence pour le développement durable. Ces entretiens ont été menés de façon semi-directive, selon un guide d’entretien, et ont eu lieu entre septembre 2021 et août 2022, principalement sous forme de visioconférences, mais parfois aussi en personne. Tous les entretiens contenaient les mêmes questions-clés et les mêmes thèmes, mais leur durée n’a pas été fixée; elle s’élevait en moyenne à 52 minutes. L’analyse du contenu a été réalisée d’après la méthode de Mayring (2022) en utilisant comme catégories déductives, entre autres, les cinq compétences de la durabilité définies par Wiek et al. (2011).
Ci-après, nous présenterons un aperçu des résultats de cette enquête à la lumière de ces cinq compétences (pensée systémique, compétence d’anticipation, compétence normative, compétence stratégique et compétence interpersonnelle; en anglais dans le texte original: systems thinking, anticipatory, normative, strategic and interpersonal competence). Des citations seront fournies en exemple et nous résumerons également les aspects essentiels de ce travail. Les citations ont été révisées et sont présentées de manière anonymisée, avec leur position dans la transcription de l’entretien (p. ex. Sonne, 11).
La pensée systémique désigne l’aptitude à analyser des systèmes complexes dans différents domaines (société, économie, environnement), à différentes échelles (du local au mondial) et en faisant appel à différentes disciplines (aspect interdisciplinaire) (Wiek et al., 2011). La pensée systémique apparaît clairement, de multiples façons, dans les entretiens et les personnes interrogées lui attribuent une importance particulière. Elles soulignent que les décisions en lien avec le développement durable devraient toujours être considérées selon une perspective internationale et interdisciplinaire, afin de prendre convenablement en compte leurs impacts d’un point de vue social, sociétal et économique (Erna, 114). La citation suivante d’Agatha (une lobbyiste dans le domaine de l’agriculture biologique) souligne bien l’importance, pour les décisionnaires, de faire preuve d’un mode de pensée interdisciplinaire et de faire appel à différents systèmes ainsi qu’à des connaissances sur les limites des systèmes. Elle explique cet aspect en évoquant les cycles et les bilans énergétiques:
«Si l’on ne considérait la fertilité du sol que d’un point de vue chimique sans prendre en compte les aspects biologiques, il suffirait d’utiliser de l’azote pour fertiliser les champs. Et tout pousserait. Mais qu’arriverait-il aux sols? Et de combien d’énergie a-t-on besoin pour produire de l’engrais d’azote?» (Agatha, 15)
D’autres personnes interrogées soulignent également l’importance qu’elles accordent à identifier le cœur du problème et à savoir saisir les connexions sans devoir nécessairement comprendre tous les détails.
La compétence d’anticipation désigne l’aptitude à anticiper et à développer des scénarios du futur qui englobent une grande variété de répercussions potentielles (Wiek et al., 2011). Selon Fischer (PDG d’une agence pour l’énergie), il est particulièrement important de savoir quelles stratégies de résolution de problèmes ont porté leurs fruits par le passé, afin de mieux prédire les évolutions à venir (14). Cela implique aussi que différentes échelles temporelles doivent être considérées pour différents systèmes, et qu’il faut également accepter les limites de prévisibilité de tous les scénarios. Buchholz (président d’un office fédéral allemand), quant à lui, attire l’attention sur la complexité de la dynamique sociale et économique qu’il s’agit de prendre en compte lors de la planification temporelle des divers scénarios (cf. citation sur la compétence stratégique). Dans ce contexte, Bornholm (PDG chez un fournisseur d’énergie) mentionne que, dans un monde marqué par des systèmes complexes et par beaucoup d’incertitudes, il est de plus en plus important d’agir d’une façon assurée:
«À l’avenir aussi, il sera extrêmement important d’agir également dans des situations incertaines. Aujourd’hui, personne ne peut dire à quoi ressemblera le système en 2050. Nous essayons toujours de définir une exactitude fictive pour 2050, mais je pense que c’est impossible.» (Bornholm, 45)
Dans ce contexte, Pinni (rédactrice pour un célèbre hebdomadaire) rappelle que tous les scénarios n’ont qu’une précision limitée dans leurs pronostics et que les décisionnaires doivent savoir faire preuve d’optimisme et d’ouverture d’esprit face aux changements, pour pouvoir accepter la finitude d’un monde axé sur la croissance (Pinni, 79).
La compétence normative se rapporte aux valeurs et aux normes qui guident nos actions (Wiek et al., 2011). Parmi les personnes interrogées, huit individus sur quatorze évoquent les valeurs réfléchies comme un point central de leurs processus de décision. Bien souvent, ces valeurs ne sont pas nommées explicitement, mais plutôt mentionnées, de manière indirecte mais claire, sous forme de métaphores, telles que la «boussole», la «trame de valeurs» et les «coordonnées» qui guident le processus de décision (Buchholz, 44; Erna, 54; Fischer, 37). Ce qui semble crucial dans ce contexte, c’est la conscience de ses propres valeurs en matière de durabilité et de leur influence sur sa manière d’agir (Pinni, 73). Les personnes interrogées soulignent que les valeurs établies et les valeurs réfléchies servent de cadre d’orientation pour prendre des décisions en matière de durabilité. Toutefois, de telles décisions peuvent aussi nécessiter une certaine aptitude aux compromis lorsqu’elles ne correspondent pas entièrement aux propres valeurs (Schmidt, 9 à 13). Fischer souligne aussi la nécessité d’agir en accord avec un propre système de valeurs fixe, et à ne pas se laisser influencer ni diriger par ses émotions:
«Tout particulièrement en ce qui concerne les pronostics choquants des scientifiques quant au climat, il est important de garder son calme et de ne pas agir sur une impulsion. Les pensées apocalyptiques sont contreproductives et n’aident pas à avancer.» (Fischer, 72)
Ainsi, les défis qui se dressent devant nous ne devraient pas être considérés comme des obstacles, mais plutôt comme une opportunité de changement et d’innovation. Pour rester apte à agir, il serait décisif de conserver une attitude générale optimiste et d’élaborer différentes possibilités d’action (Pinni, 73). Le développement d’une certaine résilience, ainsi que la confiance dans les sciences et la société, semblent être considérés comme des facteurs essentiels dans ce contexte. Ces qualités individuelles peuvent aider la réflexion stratégique et rendent possible l’élaboration de contre-scénarios positifs (Sonne, 37).
Qu’est-ce que la compétence stratégique dans le contexte du développement durable? Une démarche stratégique devrait tendre à ce que les conditions-cadres pour l’économie, la politique et la société soient conçues dans les limites des capacités de la planète, en gardant à l’esprit que les aspects environnementaux sont prépondérants face aux aspects sociaux et économiques (= modèle de la durabilité forte). Les individus dotés d’une bonne compétence stratégique travaillent en permanence à atteindre des objectifs communs. Les personnes interrogées s’efforcent de comprendre la dynamique du système, et d’adapter leurs décisions et leurs actions en conséquence (Fischer, 116). Ce faisant, elles ont conscience des défis et obstacles qui ralentissent la transformation de la société. Buchholz souligne qu’il ne s’agit pas uniquement de comprendre les systèmes naturels, mais aussi la dynamique complexe des processus de décision démocratique et de transformation politique:
«Bien souvent, les scientifiques ont une fausse idée de la durée nécessaire pour que leurs découvertes donnent lieu à des mesures au sein de la société. Ainsi, un ami scientifique se plaignait que rien ne se soit passé au cours des trente dernières années : «Nous publions constamment des rapports sur le changement climatique, mais dans le monde politique et économique, personne n’agit». Je ne peux que contredire cette déclaration de manière décisive. En ce qui concerne la manière dont les individus perçoivent les problèmes dans la technique, tant de choses ont changé.» (Buchholz, 28)
Il insiste sur l’importance de prendre en compte différentes représentations temporelles pour les processus de transformation. Selon lui, il importe de reconnaître que les changements profonds demandent du temps et qu’ils n’occasionnent pas directement un bouleversement radical mais préparent plutôt, à long terme, les bases de la transformation.
La compétence interpersonnelle, chez les personnes interrogées, se rapporte à une collaboration totale avec des groupes d’intérêt externes et internes hétérogènes qui jouent un rôle décisif dans une gestion réussie des transformations. Les personnes responsables prenant des décisions ayant une influence agissent rarement seules: elles travaillent au contraire en étroite collaboration avec des équipes interdisciplinaires, composées d’expertes et d’experts qui les conseillent. C’est ce que montre la citation ci-après:
«Les décisionnaires de l’avenir font toutes et tous partie d’un système, qu’il s’agisse d’un ministère, d’une entreprise ou d’un syndicat. Et tous ces systèmes possèdent des compétences qu’une personne seule ne peut pas offrir. Par conséquent, les personnes dirigeantes doivent être en mesure de comprendre la dynamique de groupe et de distinguer qui est digne de confiance.» (Darth Vader, 47)
Erna (82) et Tschaikowski (103) insistent sur l’importance de pallier le manque de communication entre les différents secteurs et de renforcer la compréhension et la confiance mutuelles. D’autres personnes interrogées soulignent que, surtout dans des situations polémiques, la collaboration et l’échange de connaissances et d’idées sont essentiels, afin de construire des réseaux interdisciplinaires et d’atteindre les acteurs les plus divers. Selon elles, les facultés de communication sont décisives à cet effet, pour mieux communiquer les stratégies et décisions à l’échelle institutionnelle et pour convaincre le grand public. La force d’argumentation, les talents de négociation et l’aptitude aux compromis seraient nécessaires pour trouver des solutions communes (Agatha, 29; Erna, 60). Surtout en politique, la réussite dépendrait de la capacité à communiquer de manière efficace sur des sujets complexes, et à argumenter de façon convaincante pour atteindre une majorité (Emma, 19).
Cette étude parvient à la conclusion selon laquelle les compétences ne devraient jamais être considérées de manière isolée les unes des autres, mais qu’elles devraient au contraire, pour un bon emploi, être toujours connectées les unes aux autres. Les extraits d’entretiens et les conclusions présentés visent à montrer, à titre d’exemple, comment les compétences-clés théoriques peuvent être effectivement visibles dans le travail quotidien des décisionnaires. En s’appuyant sur ces conclusions, le paragraphe ci-après propose des recommandations en matière de développement durable des institutions de formation continue et de leurs offres.
4 Perspectives: conclusions et implications importantes pour la formation continue
L’implémentation complète de l’EDD dans tous les aspects de la formation continue (p. ex. les programmes et offres, la culture organisationnelle, la direction et la gestion) reste une tâche complexe (Holst, 2023). Une approche généralisée, comme la «Whole Institution Approach» par exemple, pourrait faciliter l’intégration de l’EDD dans tous les secteurs de l’institution (ibid.). On pourrait ainsi favoriser le développement des compétences de la durabilité en ancrant fortement l’EDD dans la culture de l’organisme. Dans ce cadre, le personnel de direction et le personnel enseignant de la formation continue jouent un rôle majeur, puisqu’ils influencent fortement la conception des programmes, des processus d’apprentissage et de toute l’organisation. À l’aide de questions directrices, il s’agit maintenant, en s’appuyant sur les connaissances empiriques essentielles, de fournir des implications orientées sur la pratique pour aider le personnel de direction à intégrer les compétences de développement durable dans la formation continue.
1. Comment promouvoir la pensée systémique dans le contexte de la formation continue, en vue de rendre possibles des processus éducatifs durables?
Le personnel de direction de la formation continue devrait développer une aptitude à distinguer et analyser des connexions complexes, au sein de son institution et dans l’environnement pédagogique plus élargi. Les décisions en lien avec le développement durable nécessitent une compréhension complète des interactions entre différents systèmes que sont, par exemple, l’éducation, la société, la politique et l’économie, en vue d’intégrer des solutions durables dans le travail éducatif.
Applications possibles dans la pratique:
- Introduction de projets et équipes interdisciplinaires, réunissant différentes perspectives et favorisant les échanges
- Encouragement de la collaboration entre les différents secteurs, en vue de renforcer les logiques d’approche systémiques et en réseau
- Intégration d’études de cas et de projets pratiques liés aux limites des systèmes, afin de consolider la pensée systémique dans toute l’institution
2. Comment consolider la résilience d’un organisme?
Les organismes durables de formation continue ont besoin de structures flexibles, qui soient en mesure de réagir à des défis imprévus sans abandonner leurs propres objectifs de durabilité. Dans ce contexte, un mode de pensée stratégique permet de prendre des mesures d’une façon proactive et de saisir les opportunités.
Applications possibles dans la pratique:
- Élaboration de stratégies à long terme et incorporation, dans les planifications, des scénarios de crise imprévisibles
- Développement de structures éducatives flexibles
3. Comment peut-on garantir que les valeurs du développement durable soient bien ancrées dans l’organisation?
La durabilité ne devrait pas uniquement être une théorie que l’on transmet; elle devrait être montrée en exemple, dans la pratique, au sein de l’organisme. Le personnel de direction devrait communiquer ses valeurs de durabilité, les intégrer à ses processus de décision, les rendre visibles dans ses actions quotidiennes, et servir lui-même d’exemple.
Applications possibles dans la pratique:
- Ancrer les valeurs de la durabilité dans la mission d’entreprise
- Organiser des formations et ateliers à l’attention du personnel, pour intégrer les valeurs dans son travail quotidien
4. Comment optimiser la collaboration interdisciplinaire, au sein de l’équipe et avec des partenaires externes, en vue d’atteindre les objectifs de durabilité de l’éducation?
La collaboration entre différentes équipes à l’échelle interne, ainsi qu’avec diverses parties prenantes à l’échelle externe, est essentielle pour le développement de solutions durables. La mise en réseau avec d’autres acteurs de l’éducation, d’autres entreprises et avec le public peut aider à profiter réciproquement des connaissances et ressources des autres, et à travailler sur des projets communs.
Applications possibles dans la pratique:
- Élaboration de partenariats avec d’autres institutions, en vue de développer des programmes éducatifs communs
- Communication en toute transparence et en toute confiance, et dialogue régulier avec l’ensemble des acteurs et parties prenantes impliqués, en vue d’obtenir un retour et de nouvelles inspirations pour des stratégies pédagogiques durables
Pour mener la réflexion plus loin et inspirer de nouvelles idées, il peut valoir la peine de se poser les questions suivantes: «Les modèles courants du développement durable (cf. tableau 1) sont-ils suffisamment proches de la pratique pour être utiles dans la conception des programmes?», «Parmi les modèles existants, lequel pourrait m’aider à réaliser des progrès réalistes en chemin vers des structures durables?» ou encore: «Quelles compétences sont d’ores et déjà établies, et où peut-on encore identifier un potentiel pour de nouvelles approches?». Se pencher sur ces questions peut aider à repenser les organismes de formation continue ainsi que les concepts existants, et à édifier des structures qui soutiennent le développement durable.
Disponibilité des données: pour des détails plus poussés concernant cette étude, l’article Eberz et al. (2023) paru dans la revue Sustainability propose des résultats supplémentaires ainsi que la liste des personnes interrogées et le guide d’entretien.
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