La durabilité en formation continue: pertinence, concepts et approches pour la formation continue
La durabilité est devenue un ‹sujet majeur›, mais également un sujet de débat permanent. Pourtant, les répercussions d’un manque de durabilité sont évidentes à l’échelle mondiale. Cet article de synthèse se propose d’envisager la durabilité comme un sujet et une mission de la formation continue. Il cherchera également à savoir en particulier comment la formation continue peut se positionner et s’investir dans ce domaine.
1 Introduction
À l’heure où j’écris cet article, on assiste à nouveau, se doit-on malheureusement d’ajouter, à des intempéries catastrophiques qui provoquent des inondations de grande ampleur, notamment en Suisse et dans le sud de l’Allemagne. On vient par ailleurs de constater (chiffres de juillet 2024) que les températures terrestres avaient été de plus de 1,5°C supérieures à la moyenne de l’époque préindustrielle pendant douze mois consécutifs, c’est-à-dire qu’elles avaient atteint un niveau qu’elles ne sont plus censées dépasser à long terme conformément à l’accord de Paris sur le climat. Or, c’est précisément dans ce contexte que l’on voit actuellement se former au Parlement européen un nouveau groupe populiste de droite qui s’est, entre autres, fixé pour mission de s’opposer à la politique climatique de l’Union européenne. De toute évidence, la situation n’est pas seulement explosive, elle est aussi relativement complexe et il est évident qu’outre les défis politiques, technologiques, sociaux et liés aux ressources, c’est aussi une mission d’ordre éducatif qui nous attend. Cette dernière commence dès la distinction entre météo et climat: les inondations, argueront les climatosceptiques, ont toujours existé, alors pourquoi devrait-on désormais en imputer la responsabilité au changement climatique? En réalité, le fait qu’il soit impossible de tirer des conclusions sur le climat directement à partir de la météo s’explique par la définition même des termes, mais cela n’empêche pas que l’on oublie souvent de distinguer les deux (et pas uniquement dans les polémiques). Alterner entre une perspective globale et une perspective locale, par exemple pour discerner une année extrêmement chaude d’un été plutôt frais en Europe centrale, n’est pas chose aisée non plus. Et le fait que certaines personnes n’aient déjà plus en mémoire les dernières sécheresses estivales et se plaignent de la pluie même là où il n’y a pas eu d’inondations mais simplement un été humide (comme dans de vastes parties de l’Allemagne) montre à quel point l’on oublie vite, même quand il est question de durabilité.
Ce tableau succinct nous permet d’établir le constat suivant:
- L’éducation des adultes au développement durable (EADD)1 doit encourager l’expertise. Le manque de connaissances, par exemple concernant la différence entre météo et climat, empêche de voir certaines corrélations importantes et, dans de nombreux cas, de distinguer les mesures efficaces des mesures inefficaces. La mise à disposition d’un concept de durabilité et d’éducation au développement durable transparent et suscitant le débat fournira une base pour cela (partie 2).
- Comme bien souvent, la mission éducative ne se limite toutefois en aucun cas à la transmission de connaissances et d’informations factuelles. L’EADD traite en effet de la vie individuelle et collective à tous les niveaux, est étroitement liée aux sujets de la consommation et du renoncement, et se retrouve sans cesse confrontée aux questions des autorisations et interdictions. Ne serait-ce que pour ces raisons, le sujet de la durabilité peut se retrouver et se retrouve de facto utilisé notamment à des fins de mobilisation politique (à l’heure actuelle par des partis populistes de droite en particulier); or, faire remarquer que les arguments utilisés dans ce cadre vont souvent totalement à l’encontre des faits n’est pas toujours efficace (cf. Pätzold 2018). Le travail éducatif, qui opère si étroitement sur la situation de vie immédiate des personnes formées, doit composer avec des contradictions très variées; c’est pourquoi, il doit engager une réflexion sur les réactions émotionnelles et culturelles et porter notamment un regard différencié sur les résistances qui apparaissent durant la formation (partie 3).
- Au regard de ce contexte, il est clair que l’EADD nécessite une approche complète et s’inscrit en fin de compte dans une évolution globale, laquelle est parfois définie, sur le modèle de Polanyi, comme une «grande transformation» (WBGU 2011). Ce contexte plus large appelle toutefois une redéfinition permanente; quelques perspectives seront abordées à cet égard dans la partie 4.
2 Les concepts de durabilité
La référence la plus fréquemment citée dans les discussions portant sur la durabilité est l’idée, issue à l’origine du secteur forestier, qu’il ne faut pas prendre à la forêt plus de bois que ce qu’elle est capable de régénérer dans le même temps, la ressource de bois restant ainsi disponible de manière durable. Cette approche peut s’appliquer aux ressources matérielles, voire immatérielles de quasi toutes sortes. Elle sous-tend l’argumentation en faveur de tous les types d’énergies renouvelables (au contraire de la consommation d’énergies fossiles, car la durée de régénération de ces dernières dépasse largement la faculté de mesurer le temps des êtres humains) et se retrouve également dans les concepts de l’économie circulaire. Par extension, un système abstrait tel que la science peut lui aussi renforcer ou mettre en danger sa durabilité (si, par exemple, la confiance dans la science s’étiole à la suite de scandales et que la science n’est pas en mesure de rétablir cette confiance perdue, par exemple grâce à des progrès scientifiques tangibles). Le concept d’«équité intergénérationnelle» fournit une formulation générale facile à comprendre de cette approche: une société doit agir de sorte que les petits-enfants des individus qui la composent aient des perspectives d’existence dont on estime qu’elles seront au moins aussi bonnes que celles des personnes actuelles. Cette description manque assurément de précision, mais c’est peut-être justement ce qui évite à la durabilité d’être comprise de façon unilatérale, par exemple en prenant uniquement en compte des paramètres physiques tels que les émissions de CO2.
Le développement durable est lui aussi un concept qui a une longue histoire (Commission mondiale 1987). À l’origine, on le définissait souvent par l’interaction entre les trois «piliers» que sont l’économie, l’écologie et la société. Cette perspective a toutefois été abondamment critiquée depuis, car elle peut donner l’impression, contredite par les faits, qu’un manque de durabilité écologique pourrait par exemple être compensé par un niveau particulièrement élevé de durabilité économique. Des modèles établissant différentes priorités se sont entre-temps imposés dans de nombreux endroits en lieu et place du modèle des trois piliers. Quel que soit le contenu exact de ces modèles, ceux-ci partent du principe, conformément au modèle des trois piliers, que la durabilité doit prendre en compte différentes dimensions (dont font toujours partie les questions économiques et sociales). Contrairement au modèle initial, ces nouveaux modèles placent toutefois ces dimensions dans un rapport hiérarchique. Le modèle du «Wedding Cake» répartit ainsi les objectifs de développement durable (ODD) sur trois niveaux (cf. figure 1). Le schéma montre bien que la préservation de la biosphère, par exemple, constitue une condition matérielle préalable pour pouvoir aspirer aux valeurs d’une société durable (et par suite d’une économie durable).
La transition vers des modèles établissant différentes priorités semble également importante concernant le rôle des faits dans l’EADD: même en s’en tenant à une compréhension constructiviste de l’éducation, l’importance de la biosphère n’est pas un objet de négociation dans un jeu de langage: un concept de développement durable qui penserait pouvoir compenser le recul dramatique de la biodiversité par des progrès économiques ne serait donc tout simplement pas viable. Dans ce sens, ces modèles mettent l’accent sur les marges de négociation réelles (p. ex. pour la recherche de compromis ou la répartition des charges), mais ils rejettent les généralités qui ne sont pas fondées dans les faits (p. ex. ‹les progrès économiques feront apparaître de nouvelles technologies, et celles-ci feront le reste›) ainsi que les polémiques de post-vérité qui se produisent parfois (p. ex. ‹le changement climatique est une invention des Chinois›).
Ce rôle joué par les faits réels se reflète par exemple dans la distinction déjà mentionnée entre météo et climat: en météorologie, le climat désigne la moyenne de ce qu’il se passe dans l’atmosphère et que l’on perçoit sous forme de météo à un moment donné et dans un lieu donné. Il peut porter sur des zones géographiques de tailles différentes, mais il se rapporte toujours à une longue période. Ceci explique pourquoi une année froide spécifique (ou même un été pluvieux) ne joue quasiment aucun rôle dans l’évaluation du climat. Cette distinction n’est pas difficile à comprendre sur le plan conceptuel, mais elle est capitale sur le plan pédagogique, car on ne traite pas un phénomène comme le changement climatique en se basant uniquement sur des concepts abstraits et des considérations statistiques, mais au travers d’une interaction entre connaissances, expériences et sentiments qui ne nous est guère accessible dans tous ses détails (cf. Gigerenzer 2013). Une personne peut par exemple être tout à fait consciente que l’objectif des 1,5°C est pertinent mais, dans le même temps, sa disposition à agir conformément à cette connaissance dépendra dans une large mesure de son expérience immédiate (p. ex. de la fraîcheur ou de la chaleur de l’été) ainsi que de ses sentiments associés (p. ex. un sentiment de menace si la personne fait l’expérience immédiate de la sécheresse ou des inondations). Mais si les faits et leur transmission ne jouent pas le rôle principal dans l’EADD, comment celle-ci peut-elle avoir lieu de manière constructive?
3 Usage pratique des concepts de durabilité en formation continue: la gestion de la complexité
Si le concept de développement durable peut fournir une orientation bien pratique pour la formation des adultes, celle-ci n’est pas perceptible au premier coup d’œil. Il faut par conséquent d’abord approfondir l’analyse et se pencher sur la complexité des processus éducatifs. En général, l’éducation est la condition préalable à l’idéal d’un sujet majeur (qu’elle s’efforce dans le même temps d’atteindre). Son objectif est donc que les êtres humains puissent agir de manière responsable ou, ainsi que l’a formulé Wolfgang Klafki, que les êtres humains soient capables, en nombre toujours plus grand, d’autodétermination, de codétermination et de solidarité (Klafki 1991, p. 52). L’éducation au développement durable donne à cette ambition générale un objectif en matière de contenu, tout en renforçant l’importance de l’interaction entre les dimensions nommées par Klafki: quand les ressources sont limitées, l’autodétermination et la solidarité par exemple se retrouvent souvent dans une situation de conflit. Enfin, l’EADD se réclame de l’objectif du développement durable vis-à-vis des adultes en formation et se retrouve dès lors particulièrement confrontée au défi de respecter leur autonomie sans tomber dans l’arbitraire vis-à-vis de sa propre ambition: elle veut et doit aider les individus et les sociétés à mener une vie durable. Or, tout en reconnaissant l’ouverture des processus éducatifs, nous ne pouvons pas nier qu’il s’agit là d’une exigence normative (cela vaut bien sûr également pour les autres corrélations éducatives ainsi que pour leurs objectifs normatifs, qui vont de la santé à la promotion de la démocratie en passant par l’employabilité). En outre, étant donné qu’aucun aspect de la vie quotidienne ou presque n’est épargné par la durabilité (mobilité, alimentation, vie sociale, etc.), les offres d’EADD impacteront inévitablement rapidement la vie privée des personnes formées, et se retrouveront ainsi souvent confrontées à des intérêts, besoins et conflits de nature privée comme politique. La gestion des conflits au sein du travail éducatif joue donc précisément un rôle majeur. Le développement durable suppose entre autres l’existence de problèmes de répartition fondamentaux: il en résulte inévitablement des conflits liés aux ressources, par exemple concernant les «droits à polluer», qui affectent à leur tour directement les individus et se retrouvent en outre utilisés à des fins de mobilisation par certains groupes d’intérêts. Les discussions autour de ces conflits ne sont pas exemptes d’émotions, c’est pourquoi l’EADD consiste également toujours à articuler ces émotions et à y réfléchir sans fermer l’espace qui permet de trouver des compromis entre les différents intérêts. En matière d’orientation pratique, enfin, l’EADD consiste à pouvoir évaluer chaque activité éducative pour savoir si elle est en mesure de contribuer à la durabilité. Ainsi, une journée de formation sur les placements verts qui aborderait uniquement les perspectives de rendement obtiendrait de façon générale de moins bons résultats qu’une journée de formation évoquant également le fait que mettre l’accent sur les seuls rendements augmenterait par exemple le risque de choisir des produits financiers dont la durabilité n’est qu’apparente (ce que l’on appelle le ‹greenwashing›).
Jusqu’à présent, nous avons principalement présenté le positionnement général de l’EADD. Nous allons maintenant recourir à des résultats concrets provenant, d’une part, de la recherche sur la formation continue et, d’autre part, de la recherche sur l’EDD (quelle signification?).
3.1 Créer des espaces discursifs
Ainsi, il est évident que la durabilité est l’objet d’un processus de négociation constant, les aspects présentés plus haut visant à démontrer que la durabilité ne consiste pas en des considérations purement rationnelles ainsi qu’en la recherche d’une solution unique. Les négociations sont au contraire toujours influencées par différents points de vue, différentes manières d’être impacté et différentes attitudes. Dans ce contexte, il est important de s’inscrire dans la continuité des recherches sur les émotions, lesquelles s’étendent désormais sur plusieurs décennies (cf. Grotlüschen et Pätzold 2020, p. 44 et ss.; Gieseke 2016; Arnold et Holzapfel 2008) et ont mis en évidence l’importance de prendre suffisamment en compte les émotions, qui sont un aspect fondamental des processus d’apprentissage. Cette conclusion mérite d’être exploitée par l’EADD. L’EDD peut par exemple développer des récits (Plateforme nationale 2017, p. 83) qui permettent de se représenter les objectifs de la transformation, tout en les situant dans le contexte d’émotions positives. Ces «récits positifs […] auxquels quasiment tous les membres d’une société peuvent associer des expériences individuelles positives» (Hoffmann 2018, p. 13) servent à attribuer une connotation émotionnelle positive à un objectif constructif et, dans de nombreux cas, le fait de faire disparaître l’évaluation émotionnelle purement négative qui lui est attribuée suffit. Les notions du renoncement nous en fournissent un exemple: le renoncement peut souvent être connoté négativement, par exemple s’il est associé à la perte et à la déprivation, et positivement s’il renvoie par exemple à la liberté et au fait de se débarrasser d’un poids. Il ne s’agit pas là de techniques manipulatoires; il s’agit de s’affranchir du sentier de la dépendance qui s’exprime souvent dans les résistances culturelles (et par conséquent dans les objections qui ne sont pas objectives mais de nature émotionnelle) (cf. ibid.).
Ainsi, les émotions n’ouvrent pas seulement des portes; elles peuvent également en bloquer et elles le font très souvent dans le contexte de la durabilité. La menace que représente la crise mondiale de durabilité est telle qu’il n’est guère surprenant que l’on se refuse parfois à s’y confronter à cause de sentiments comme la peur ou la frustration. Le concept d’éco-anxiété (Pihkala 2022) a donné naissance à une perspective de recherche spécifique portant sur la façon dont les êtres humains gèrent leurs angoisses face à la crise écologique planétaire. La formation continue peut élaborer des perspectives de gestion constructive dans ce domaine. Singer-Brodowski et al. (2022) parlent à cet égard de «safe enough spaces», c’est-à-dire d’espaces dans lesquels on se sent suffisamment en sécurité, malgré une menace perçue, pour affronter cette menace de manière discursive et constructive. Il est possible d’utiliser de tels espaces dans le contexte de l’EADD mais, leur existence n’étant pas présupposée, leur création relève déjà de toute évidence d’un exercice didactique.
3.2 Développer les compétences
Les espaces adaptés sur le plan didactique ne sont toutefois pas le seul prérequis pour une approche constructive des questions liées à la durabilité: des compétences spécifiques sont également requises. Or, comme c’est souvent le cas dans le travail éducatif, ces compétences sont tout à la fois la condition préalable et l’objectif du processus, c’est-à-dire qu’elles doivent être déjà adoptées dans une certaine mesure tout en étant dans le même temps développées et déployées. Différents modèles et catalogues de compétences ont été formulés tôt à cette fin dans la recherche sur l’EDD, ainsi que sous la forme de compétences en conception par de Haan (2008) ou sous la forme de résultat d’une méthode de Delphes (Brundiers et al. 2020). De tels modèles de compétences répondent quelquefois à des questions plus spécifiques (p. ex. en fonction de certains groupes-cibles) et ne s’adaptent pour cette raison pas facilement à tous les contextes. Ils peuvent toutefois se révéler très utiles pour définir un cadre général dans lequel le développement de compétences serait prometteur et pertinent (ainsi que pour donner des indications sur ce qu’il ne faut peut-être pas viser). Dans leur analyse, Brundiers et al. (2020) ont utilisé comme point de départ une représentation des compétences en durabilité développée par Wiek et al. (cf. ibid., p. 16) qui énumère des compétences relativement larges, comme la pensée stratégique (cf. ibid.). Cette analyse montre clairement qu’une telle compétence s’avère généralement nécessaire pour agir avec succès dans des systèmes sociaux complexes. Pour le dire de façon plus percutante, même pour réussir dans le commerce de combustibles fossiles, par exemple, savoir agir de manière stratégique est essentiel, c’est pourquoi les compétences se concentrent déjà sur l’action durable chez Wiek et al. Dans la méthode de Delphes que nous citons ici, les personnes participant à l’étude jugent toutefois nécessaire que les compétences soient davantage concrétisées (et par endroits aussi élargies) (cf. ibid., p. 18). La prise en compte de l’interaction entre les différentes compétences est par ailleurs primordiale lorsqu’il s’agit de l’objectif principal, à savoir traiter les problèmes liés à la durabilité (cf. ibid., p. 19 et ss.). La capacité à penser de manière systémique («[s]ystems-thinking competency», ibid., p. 16, cf. aussi Elven 2022, p. 537) favorise d’une façon particulière la conscience de cette interaction. Des possibilités de rapprochement avec la formation continue s’offrent dans ce domaine et seront analysées dans la prochaine partie.
3.3 Penser de manière systémique
Il y a dans la formation continue une riche tradition de confrontation avec les concepts et résultats de la science des systèmes. Certains des principaux apports à la compréhension systémique du monde social (théorie de Luhmann sur les systèmes sociaux, synergétique de Haken, modèle écosystémique de Bronfenbrenner, concept de Senge sur la pensée systémique dans le contexte du développement organisationnel) ont stimulé de multiples manières la recherche et la pratique en formation continue. Considérée de manière rigoureuse, la pensée systémique signifie toutefois dans chacune de ces approches une véritable rupture avec les idées largement partagées et bien ancrées concernant les processus matériels et sociaux, car elle place au centre de la modélisation des systèmes les phénomènes marginaux et les troubles présumés (tels que l’inertie des systèmes, la non-linéarité ou encore la connaissance lacunaire des situations). Une idée qui n’est pas non plus étrangère à la formation continue, par exemple lorsque les résistances à l’apprentissage ne sont pas uniquement considérées comme des troubles à surmonter, mais sont vues comme l’occasion d’interroger la conception même du processus d’apprentissage (cf. Grotlüschen et Pätzold 2020, p. 27 et ss.). De plus, les sciences des systèmes indiquent qu’il est possible d’influencer les systèmes complexes, mais qu’il est impossible de les piloter de manière ciblée. Cela vaut sans nul doute pour les écosystèmes complexes, mais correspond également à l’idée, présente dans la pédagogie pour adultes, selon laquelle la personne qui apprend est un sujet autonome auquel on peut certes proposer des choses, mais qui traitera ces dernières selon sa propre logique.
Ainsi, de nombreux aspects s’appliquant aux systèmes complexes ne sont pas seulement pertinents dans la formation des adultes; ils sont aussi directement vécus par les professionnel·les tout en étant gérés ‹systémiquement› de manière souveraine. Les personnes dispensant la formation continue doivent très souvent faire face, dans l’exercice de leur métier, à des incertitudes relevant de la complexité des systèmes. La dynamique sociale d’un nouveau groupe d’enseignement peut en effet engendrer une forte incertitude (or, il faut bien commencer le cours ‹d’une manière ou d’une autre›). En outre, la diversité des connaissances préalables et des besoins individuels au sein du groupe doit être compensée dans le cadre de l’orientation des personnes formées. Enfin, le traitement individuel de l’offre de formation par chaque adulte participant est lui aussi un processus (imprévisible) qui s’inscrit dans un système psychique complexe. Cette connaissance des perspectives systémiques et dans de nombreux cas aussi l’expérience pratique dans ce domaine peuvent être mises à profit de diverses manières dans l’EADD. Il est souvent nécessaire, à cette fin, de (ré)examiner les fondements des sciences des systèmes et de continuer à renforcer la capacité à penser de manière systémique (cf. Pätzold 2019).
4 La durabilité comme occasion de (ré)orientation collective
Dans une perspective traditionnelle, on aurait déjà atteint, avec la pensée systémique, le niveau de la planification de l’offre. L’EADD a besoin d’offres permettant l’enseignement et l’apprentissage de la pensée systémique, tant pour faire face aux incertitudes inévitablement engendrées par les questions liées à la durabilité que pour aboutir à des jugements mobilisables et guidant l’action sur le terrain, précisément dans ce domaine incertain. Personne en définitive ne peut prétendre savoir comment le climat va véritablement évoluer, et pourtant, il faut bien trouver des pistes pour limiter les menaces qui en résultent. Les offres de formation à la durabilité, toutefois, ne s’intègrent pas facilement à un programme classé par thèmes ou spécialités. Et une telle intégration ne semble du reste pas souhaitable. À ce jour, la pratique a montré en effet que la durabilité pouvait être abordée aussi bien dans les offres de formation aux sciences naturelles que dans les offres de formation politique et d’économie ainsi que dans les cours de cuisine, les cours sur la santé et de nombreux autres domaines (cf. Burdukova 2019). Car si des offres au contenu spécifique (p. ex. sur les facteurs à l’origine du changement climatique) peuvent contribuer de manière importante à l’EADD, cette dernière est également possible en établissant des liens, dans des offres de différents types, avec une existence durable ou en créant simplement des espaces dans lesquels les personnes participant à la formation qui le souhaiteraient pourraient prendre position dans la discussion de manière constructive et sans crainte. Ainsi, une formation consacrée aux «placements en prévision de la retraite» peut (et doit) offrir un espace pour aborder aussi la signification que l’on peut prêter au terme «prévision» en dehors de la disponibilité de certaines sommes d’argent à certains moments de sa vie, ainsi que pour discuter des conditions générales supposées stables pour qu’un placement financier puisse répondre aux attentes en matière de sécurité économique. Dans un tel cas de figure, une discussion systémique sur des phénomènes tels que la bulle carbone ne serait pas une partie du cours à justifier dans son curriculum, mais pourrait avoir du sens, d’un point de vue réaliste, par rapport à l’objectif de départ du cours également.
À moyen terme, un mode de vie non durable affectera probablement tous les êtres humains. Il n’est donc guère surprenant que les conséquences de la non-durabilité touchent également tous les niveaux de la formation continue. La question n’est donc pas simplement de planifier les programmes, développer l’offre de formation et concevoir les cours: il faut par exemple également savoir composer avec des conditions changeantes. Les structures temporelles de la formation continue sont susceptibles de se modifier, certaines périodes de l’année étant devenues peu attractives en raison de la régularité des étés caniculaires, et les conditions de mobilité des personnes formées (ainsi que du personnel enseignant) étant liées aux mesures de protection du climat et d’adaptation au changement climatique. Le développement de l’organisation interne, qui va des processus commerciaux aux réglementations sur la présence des personnes participantes en passant par l’équipement des bâtiments et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), doit lui aussi se poursuivre, ce qui se traduit déjà par des concepts de certification adaptés (Dehn 2023). La planification d’un tel processus est toutefois limitée et, quoique souhaitable, ne débouche généralement pas sur une transformation majeure et sans heurts au sein des organisations (ou même dans le paysage de la formation continue dans son ensemble); on voit plutôt coexister des pistes, des ambitions ainsi que, bien sûr, des résistances et des échecs fort différents. L’auteur considère pour cette raison que les discussions actuelles sur l’EADD doivent également être comprises comme un moment particulier au sein d’un système dynamique. Nous ne pouvons pas prédire quelles seront les évolutions réelles, mais nous pouvons et devons donner des impulsions qui nous semblent aller dans la bonne direction et nous en saisir. Ces impulsions incluent aussi les nombreux concepts et exemples que l’on trouve dans la littérature actuelle ainsi que, bien évidemment, dans le présent numéro.
De l’avis d’un grand nombre de spécialistes, la confrontation avec le sujet de la durabilité ne signifie rien de moins qu’une réorientation fondamentale de l’action et de la cohabitation des êtres humains (WBGU 2011). Or, les résultats d’un tel processus sont impossibles à prévoir. Il est toutefois possible de piloter ce processus ‹à vue› en prenant des décisions que nous pouvons qualifier en notre âme et conscience de pérennes selon la perspective actuelle. Dans ce contexte, la formation continue ne sera peut-être pas non plus en mesure de fournir avec fiabilité le contenu et les compétences qui conduiront à une amélioration, mais elle peut, en tant qu’institution et dans ses offres de formation, agir sur sa propre évolution ainsi que sur l’émergence de compétences durables pour demain.
- Un grand nombre des affirmations exposées ci-après ne se limite pas aux adultes, mais concerne également l’EDD en tant que telle. L’article se concentrant toutefois sur les adultes, nous utiliserons principalement l’appellation EADD. La formation continue au développement durable est également comprise dans ce terme.
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