La durabilité comme matière d’enseignement pour encourager l’autodétermination dans le contexte du travail
En tant que matière d’enseignement, la durabilité se distingue par sa multiformité et sa complexité, ainsi que, et cet aspect n’est pas des moindres, par une certaine normativité et un danger d’instrumentalisation correspondant. D’autres défis spécifiques à la durabilité en tant que matière d’enseignement, dans la formation professionnelle formelle tout comme dans la formation professionnelle continue, sont sa concrétisation axée sur le métier spécifique, ainsi qu’une focalisation souvent très marquée sur la durabilité économique. Cependant, on continue d’attribuer un rôle clé à la formation professionnelle dans le cadre de la transformation durable.
Le présent article fournit d’abord un descriptif de spécificités propres au développement durable en tant que matière d’enseignement à caractère normatif. Nous y évoquerons ensuite diverses pistes didactiques visant à aborder cette matière dans la formation professionnelle initiale et continue, dans une optique d’encouragement de l’esprit critique et de l’autodétermination des élèves dans leur travail sans aucune instrumentalisation.
Introduction: durabilité et éducation, une relation difficile
La durabilité se distingue par sa multiformité et sa complexité. Ainsi, et cela concerne également les objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations Unies en 2015, on peut la diviser par exemple en trois dimensions distinctes que sont l’environnement, l’économie et la société, entre lesquelles divers rapports de force existent. Lorsque la durabilité fait office de matière d’enseignement (comme le demande l’ODD 4.7), il convient alors de traiter cette multiformité et cette complexité dans des processus éducatifs adaptés. En partant de l’ODD 4.7, le lien entre la durabilité et l’éducation s’établit dans différents concepts tels que l’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM), l’éducation au développement durable (EDD) et le «Globales Lernen» (portail central pour l’apprentissage mondial).
Ce type d’approches éducatives connaît un défi fondamental: celui d’une possible instrumentalisation due à l’orientation de ses enseignements vers un objectif normatif, que l’éducation doit permettre d’atteindre (Zurstrassen, 2022, p. 25). Réfléchir à «ce qu’il faut faire et ce dont il faut s’abstenir sur le plan pédagogique» (Ruhloff, 1980, p. 24) est une question qui ne concerne pas uniquement la durabilité parmi les matières d’enseignement. Concernant la durabilité, l’aspect de normativité se trouve par exemple dans l’orientation vers une vision de l’équité intergénérationnelle et intragénérationnelle (Hauff, 1987) qui est également ancrée dans les ODD (Laub, 2021; Wagener, 2019). Une conséquence possible serait que des objectifs prédéfinis soient poursuivis car ils correspondent éventuellement plutôt aux besoins et intérêts du corps enseignant qu’à ceux des élèves (Marshall, 2011, p. 414). Selon Freire (1972), une telle instrumentalisation de l’éducation mène à une déshumanisation, ainsi qu’à la reproduction d’inégalités et à la restriction de l’autonomie et de la créativité chez les personnes apprenantes; et elle est aussi inadmissible, entre autres, en vertu de l’«interdiction d’endoctrinement» dans l’éducation politique (Sander, 2009). Ainsi, l’éducation est toujours sous-tendue par un certain danger d’instrumentalisation, également dans le contexte du développement durable.
Par conséquent, l’EDD se situe dans un «champ de tensions entre ouverture et fermeture normative» (Asmussen et al., 2020, p. 43). Pour cette raison, elle a depuis toujours le problème d’être (mé)comprise comme une incitation à un comportement normatif (Weselek, 2019, p. 145) qui déboucherait sur une affirmation plutôt que d’encourager l’émancipation. Wagener (2019) renvoie à de nombreuses démonstrations empiriques qui prouvent que des appels normatifs et moraux, de la part du personnel enseignant à ses élèves, peuvent avoir pour conséquence une attitude défensive de ces derniers et ainsi même, finalement, ôter toute efficacité à un enseignement d’EDD. La question qui se pose est alors la suivante: comment s’orienter vers les principes de durabilité et d’équité comme normativité implicite, tout en permettant un mode d’action autodéterminé qui soit réellement perçu comme tel? Il n’existe pas de chemin tout tracé quant à la manière de s’y prendre face à la menace de l’instrumentalisation. Il est important que tout principe normatif, tel que l’orientation vers la durabilité et vers l’équité, «soit également déclaré comme tel et soit présenté clairement et ouvertement, pour éviter tout endoctrinement implicite» (Tafner, 2018, p. 135). Les personnes qui participent au cours doivent être en mesure de prendre elles-mêmes des décisions fondées, en tant qu’individus autonomes et aptes à l’esprit critique. Ainsi, le développement durable en tant que matière d’enseignement ne vise pas toujours un changement des comportements, mais plutôt un encouragement de l’esprit critique et du libre arbitre, au sens de l’«aptitude à l’autodétermination et à la solidarité» (Tafner, 2018, p. 116).
Mais si, à l’opposé du risque d’instrumentalisation décrit ci-dessus, l’approche de la durabilité dans les processus éducatifs doit plutôt encourager l’esprit critique et l’autodétermination, cela implique certains défis quant aux méthodes pédagogiques et didactiques à employer (Laub, 2021). Ainsi, la durabilité peut être considérée comme «un phare vers lequel il faut se diriger mais qui ne détermine pas le chemin à suivre et qui, finalement, reste un objectif inatteignable» (Hirata, 2022, p. 45). Dans ce contexte, l’éducation requiert une confrontation à un sujet et pour laquelle le résultat reste ouvert; à l’opposé d’une instrumentalisation où l’on concevrait un chemin à suivre dont on prétend qu’il est le bon.
Sur la base de cette relation entre durabilité et éducation, nous nous pencherons plus concrètement ci-après sur les défis, mais aussi sur les opportunités que représente cette relation lorsqu’il s’agit, dans le cadre de la formation professionnelle, d’encourager l’esprit critique et l’autodétermination dans le contexte du travail. Nous aborderons tout d’abord ce sujet à une première échelle fondamentale avant d’en tirer, à l’échelle didactique, des conséquences plus concrètes pour l’agencement des méthodes d’enseignement et d’apprentissage.
La durabilité dans le contexte de la formation professionnelle
Concernant la relation entre durabilité et éducation, la formation professionnelle1 en particulier fait face à des défis, mais aussi à des opportunités qui sont similaires. Ici aussi, l’un des défis repose sur le caractère complexe et multiple de la durabilité, comme évoqué auparavant, mais d’un point de vue plus spécifique axé sur la pratique professionnelle.
Au sein de l’éducation au développement durable dans la formation professionnelle, on peut analyser deux conceptions distinctes: d’une part, une conception fondamentale commune aux différents métiers; d’autre part, une conception spécifique au métier ou au domaine. Si l’on considère une conception fondamentale, on abordera en particulier la relation qui existe entre les élèves, leur pratique (professionnelle) et ses impacts sur le monde dans le contexte d’un développement individuel de l’identité (professionnelle ou autre) (Hantke, 2018; Tafner et al., 2022; Zurstrassen, 2022). En revanche, si l’on applique une conception plus spécifique, on mettra l’accent sur des aspects particuliers à la branche, au métier et au domaine comme points de départ de l’EDD en formation professionnelle (Kiepe, 2021). Mais la préoccupation commune à ces différentes conceptions reste de «sensibiliser, motiver et qualifier les individus à participer de manière compétente à la conception d’un avenir durable dans le cadre de leur métier, de leur travail et de leur formation» (Rebmann & Schlömer, 2020, p. 334). Ainsi, l’EDD en formation professionnelle se conçoit comme un processus tout au long de la vie et un élément central de l’éducation, qui rend les individus aptes à faire face, de manière responsable, aux défis d’aujourd’hui et de demain dans des situations professionnelles, sociales et privées. Si l’on considère cet aspect, sur un plan normatif dans un premier temps, alors l’EDD en formation professionnelle doit contribuer à réaliser les ODD en transformant la pratique professionnelle.
L’EDD en formation professionnelle: un débat distinct au sein de l’EDD
Le débat concernant l’EDD dans le contexte de la formation professionnelle (initiale et continue) ne peut pas être considéré comme un simple aspect du débat sur l’EDD, mais plutôt comme un débat distinct. D’une part, cela est dû en principe à sa relation avec la pratique professionnelle; d’autre part (en Allemagne), à la circonstance suivante non négligeable: depuis les années 1990, l’EDD en formation professionnelle s’est tout particulièrement organisée autour de projets pilotes menés par l’Institut fédéral allemand de la formation professionnelle (BIBB) (cf. p. ex. Melzig et al., 2021) et elle a ainsi fait l’objet d’une attention accrue (au sens d’un débat distinct) (De Haan et al., 2021). Les projets pilotes ont montré (et cela va tout à fait dans le sens des deux conceptions de base de l’EDD en formation professionnelle que nous avons décrites auparavant) que, d’une part, le développement durable comme modèle commercial peut servir de point de départ à une EDD professionnelle orientée vers les processus du travail et du commerce (Schlömer et al., 2021, p. 119). Il s’agit par exemple, dans le cadre de processus éducatifs allant dans le sens d’un enseignement de l’entreprenariat, de développer des produits ou services plus durables qui viennent remplacer les «anciens» produits et services non durables. D’autre part, les projets pilotes ont aussi révélé qu’au sein des processus de travail et de commerce actuels, des dilemmes d’ordre structurel peuvent survenir entre la prétention au développement durable et la prétention à un développement purement commercial; et ces dilemmes ne peuvent pas être résolus par la conception de produits ou services plus durables (Fischer et al., 2021, p. 93 ss.). Il s’agit dans ce cadre, par exemple, d’utiliser les processus d’enseignement et d’apprentissage pour construire une compréhension générale des contradictions représentées, dans le contexte des limites environnementales de la planète, par une économie fondée sur l’utilisation des ressources. Ces deux exemples ne sont qu’un aperçu de l’ampleur du débat entourant l’EDD en formation professionnelle.
L’aspect, en particulier, de la manière d’agir face à la normativité fondamentale de la durabilité et au danger d’instrumentalisation qui y est lié, représente un défi qu’il ne faut pas sous-estimer lorsqu’il s’agit de réellement pratiquer l’EDD en formation professionnelle. Le fait, par exemple, que les ODD appellent à prendre en compte les dimensions sociales et environnementales dans le contexte des activités lucratives tandis que, dans la formation professionnelle, les mécanismes du marché exigent surtout d’agir selon des dimensions économiques: cela place la population active devant de multiples dilemmes. Face à ceux-ci, qui les confrontent à l’influence de différentes perspectives pour l’organisation de l’économie dans un contexte de changement social, les personnes actives doivent alors trouver un équilibre entre l’accomplissement de tâches concrètes selon des critères utilitaristes, et leur engagement pour changer ces mêmes processus dans le sens du développement durable (Tafner et al., 2022, p. 23). Ce type de dilemmes est également désigné comme «l’ADN» de l’EDD en formation professionnelle (Fischer et al., 2021, p. 93 ss.).
Les dilemmes comme une opportunité de prise en compte de la durabilité en formation professionnelle
Aujourd’hui, il existe toutefois, du moins déjà en partie, une certaine possibilité d’intégrer la durabilité dans les routines d’entreprise. Par exemple, les entreprises consacrent du temps à des approches socio-politiques telles que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et les rapports de durabilité. De plus, certaines branches et entreprises ne peuvent assurer leur subsistance que si leurs processus de travail et de commerce suivent un modèle économique plus durable (Schlömer et al., 2021, p. 112). Par ailleurs, dans le contexte actuel du manque de main-d’œuvre qualifiée, il peut aussi être important de suivre une logique de développement durable en vue d’attirer et de conserver suffisamment de personnel: en effet, une telle stratégie permet de correspondre au souhait des jeunes qui, de plus en plus, sont à la recherche d’une activité professionnelle porteuse de sens pour la société (Albert et al., 2019). Malgré ces tendances, l’engagement des entreprises en matière de développement durable reste, bien souvent, principalement marqué par des réflexions d’ordre économique. C’est pourquoi les dilemmes exposés auparavant, concernant un suivi «honnête» d’objectifs de durabilité dans le contexte de la formation professionnelle, ne sont toujours pas résolus.
Et pourtant, ces dilemmes renferment aussi certaines opportunités pour la mise en place d’une EDD en formation professionnelle. Celles-ci résident en particulier dans la prise en compte des dilemmes inhérents aux processus de formation professionnelle pour renforcer l’aptitude à l’esprit critique et à l’autodétermination dans le travail. En effet, si l’on rapporte les dilemmes présentés à l’échelle fondamentale de la formation professionnelle, on constate qu’un champ de tension entre l’esprit critique et la compétence est immanent à la formation professionnelle, en raison des intérêts fondamentalement divergents de ses divers acteurs. Ainsi, d’une part, la formation professionnelle aspire à former des citoyens et citoyennes aptes à l’esprit critique et autodéterminés; mais elle cherche d’autre part, au sens d’une qualification, à utiliser à des fins économiques les compétences qu’elle transmet. Ces deux perspectives revêtent depuis toujours une importance fondamentale dans la recherche sur la formation professionnelle (Dobischat & Düsseldorf, 2018). Les dilemmes exposés ci-avant offrent ainsi la possibilité de satisfaire ces deux exigences relatives à la formation professionnelle. Dans le contexte de l’EDD en formation professionnelle, cet objectif peut potentiellement être atteint en rendant le personnel apte, dans de vraies situations professionnelles, à faire face à ces dilemmes selon une logique axée sur la pratique et ainsi autodéterminée. Autrement dit: les personnes professionnellement actives sont ainsi en mesure d’utiliser savamment leurs propres marges de manœuvre professionnelles pour faire face de manière autodéterminée aux dilemmes du développement durable. La formation professionnelle se démarque donc de la formation générale par ses caractéristiques particulières que sont l’ancrage professionnel et l’orientation sur des situations spécifiques – des principes dominants pour la structuration des processus de travail et d’entreprise (Beer & Frommberger, 2022) – ainsi que par son orientation vers l’action (Herkner & Pahl, 2020). Toutefois, une critique concernant la prise en compte de ces caractéristiques fondamentales est qu’une formation professionnelle principalement axée sur les processus de travail et de commerce tendrait à occulter les problématiques de la société (Tafner et al., 2022, p. 23), alors même que l’EDD aurait pour rôle de les intégrer aux processus de la formation professionnelle.
Conséquences pour l’agencement des méthodes d’enseignement et d’apprentissage
Comment peut-on alors appréhender le développement durable en tant que matière d’enseignement à caractère normatif dans les processus de formation professionnelle, tout en évitant néanmoins une instrumentalisation unilatérale, et en encourageant au contraire l’autodétermination et l’esprit critique au travail? C’est la question fondamentale pour agencer des méthodes d’enseignement et d’apprentissage dans le cadre d’une éducation au développement durable en formation continue, à la lumière du contexte exposé ci-avant. Pour prendre en compte cette question fondamentale, riche en tensions, dans le cadre de l’EDD en formation professionnelle, une possibilité consiste à organiser les méthodes d’enseignement et d’apprentissage sur la base de lignes de conduite didactiques qui furent d’abord le résultat des projets pilotes du BIBB (Vollmer & Kuhlmeier, 2014, p. 205 ss.) mais qui ont, depuis, été retravaillées pour prendre en compte les ODD et qui ont été concrétisées (Holst & Hantke, 2023, p. 45 ss.) comme l’exige le débat (Singer-Brodowski & Holst, 2022). Ces lignes de conduite nécessitent l’intégration des deux conceptions de base de l’EDD en formation professionnelle, telles que nous les avons exposées auparavant. Ainsi, elles se penchent tout d’abord sur les spécificités de la branche, du métier et du domaine; mais sur cette base, elles incitent les personnes apprenantes à réfléchir elles-mêmes à la relation (pouvant aussi reposer sur des dilemmes) qu’elles voient entre les ODD et la pratique (professionnelle), en gardant en vue leurs répercussions mutuelles dans le contexte de leur propre développement d’identité (professionnelle). Grâce à cette méthode, il est possible d’atteindre une attitude réfléchie vis-à-vis du caractère normatif de la durabilité mis en lumière ci-dessus. L’application de ces lignes de conduite didactiques est, en principe, possible dans tous les contextes formalisés et didactiques de la formation professionnelle, qu’elle soit initiale ou continue.
Concrètement, la prise en compte des lignes de conduite didactiques consiste à «rendre les élèves aptes à connecter la durabilité environnementale et sociale à la pratique professionnelle [économique] concrète, et à aborder de manière productive les conflits d’objectifs, les tensions et les possibles synergies entre les motivations économiques et la durabilité environnementale et sociale; l’ambition est de pouvoir contribuer à la conception […] d’un mode de gestion à la fois économiquement viable et socialement équitable» (Holst & Hantke, 2023, p. 47). Ci-après, des questions directrices sont formulées et peuvent permettre de répondre à cette exigence (ibid., p. 48 ss.). Ces questions directrices sont traitées en prenant comme exemple la pratique commerciale dans la branche du transport et de la logistique; elles sont résumées au graphique 1.
Voici quelques questions directrices pour l’agencement de méthodes d’enseignement et d’apprentissage dans le cadre de l’EDD en formation professionnelle, et leurs réponses dans le domaine de la branche du transport et de la logistique (Holst & Hantke, 2023, p. 48 ss.):
- Quelles situations d’action peut-on distinguer dans l’activité professionnelle correspondante? Exemples de situations d’action dans la branche du transport et de la logistique: enregistrement des besoins du client ou de la cliente en matière de transport; conseil à la clientèle dans le choix du mode de transport; traitement d’ordres de transport; facturation d’ordres de transport et évaluation de la réussite de ces contrats, etc.
- Quels impacts les situations d’action professionnelle identifiées ont-elles sur un certain objectif de développement durable? Quels impacts un certain objectif de développement durable a-t-il sur les situations d’action professionnelle identifiées? À quel degré l’agencement d’une vie commune socialement équitable pour toutes et tous, sans dépasser les limites écologiques de la planète, s’en trouve-t-il influencé, autant dans le présent qu’à l’avenir? Exemples de points d’intersection des situations d’action avec certains ODD2: – La situation d’action professionnelle «conseil à la clientèle dans le choix du mode de transport» a un impact sur l’objectif «mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques», puisque le choix d’un mode de transport (ou d’une combinaison de plusieurs d’entre eux) a une influence sur les émissions de CO₂ d’une prestation dans le domaine du transport et de la logistique. – La situation d’action professionnelle «appel d’offres» a un impact sur les objectifs «consommation et production responsables» et «mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques» puisque lors d’une attribution de contrats, outre les critères purement quantitatifs et économiques de comparaison des offres, il serait aussi possible de prendre en compte des critères d’ordre qualitatif: par exemple la baisse des émissions de CO₂ ou la préservation des ressources lors de la réalisation de la prestation de transport et logistique.
- Quels contenus peut-on former à partir de ces points d’intersection? À partir des points d’intersection donnés ici à titre d’exemple, on pourrait par exemple déduire les contenus suivants3 comme base d’un enseignement durable: – Analyse de la gamme de prestations de sa propre entreprise en se focalisant sur les différents moyens de transport proposés et leurs émissions de CO₂ et de particules fines. – Calcul de l’empreinte carbone des prestations de sa propre entreprise et élaboration de mesures en vue de la réduire. – Réflexion sur les avantages et inconvénients des différents modes de transport quant à leurs émissions de CO₂ et de particules fines.
- Quels types de méthodes d’enseignement et d’apprentissage peuvent être développés en s’appuyant sur ces contenus d’une EDD en formation professionnelle? Dans une dimension macrodidactique, cette question concerne aussi l’application explicite ou implicite de principes didactiques. Le graphique 2 résume les principes qui devraient être pris en compte lors de l’élaboration des méthodes d’enseignement et d’apprentissage d’une EDD en formation professionnelle.
- Quels grands axes didactiques peuvent, ou devraient, être dressés dans ce contexte? Concernant la mise en pratique de l’éducation au développement durable, le principe suivant peut aider à répondre à cette question: «Pas tout d’un coup, mais un bon équilibre dans l’ensemble» (Holst & Hantke, 2023, p. 63). Ainsi, il n’est pas possible, et cela ne doit pas non plus être recherché, de prendre par exemple en considération l’ensemble des objectifs de développement durable dans chaque unité d’enseignement; mais il s’agirait plutôt de les «aborder de façon équilibrée dans l’ensemble du cursus de formation, et de veiller à ce que certains d’entre eux ne restent pas entièrement sans considération (au sens d’une démarche sélective)» (ibid.). En outre, les cours, dans leur ligne fondamentale, devraient s’orienter vers le développement de la personnalité des élèves. Sur le plan méthodologique, ils devraient donc être conçus de telle sorte que les élèves «soient préparés à faire face aux conflits d’objectifs du quotidien (professionnel ou non) et que leur aptitude à transposer ces expériences d’apprentissage à leurs (futures) situations professionnelles soit renforcée» (ibid.). Grâce à une EDD en formation professionnelle conçue de la sorte, les personnes concernées peuvent devenir des citoyens et citoyennes actifs, capables de transformer leur propre réalité et d’intervenir pour une société plus juste (Freire, 1972), sans servir de but prédéfini.
Perspectives
Cette méthode didactique possible pour la réalisation d’une EDD en formation professionnelle, telle que nous l’avons rapidement esquissée dans le présent article, propose un exemple de réponse à la question suivante: comment appréhender la durabilité comme matière d’enseignement à caractère normatif dans les processus de formation professionnelle, en vue d’encourager l’esprit critique et l’autodétermination dans la pratique professionnelle? Ainsi, il est possible de garantir aux élèves, dans le cadre concret d’une EDD en formation professionnelle, «leur droit à une formation d’opinion politique neutre et indépendante» (Singer-Brodowski, 2016, p. 14). Ce droit sert de base à la formation à une manière d’agir autonome et autodéterminée, dans un contexte professionnel, mais également dans d’autres contextes (Hantke 2021; Tafner et al., 2022); ce droit peut aussi finalement être considéré comme une condition à la réussite de la transformation durable. En effet, des appels à l’action normatifs et moraux peuvent (cela a été démontré de manière empirique) provoquer une attitude défensive chez les élèves (Wagener, 2019) et pourraient ainsi finalement contrecarrer le processus de transformation durable. Car l’existence de personnes impliquées et participantes est considérée comme une condition indispensable au processus, entre autres (mais pas seulement) dans le cadre de la pratique professionnelle qui représente un champ d’action quotidien non négligeable (Melzig & Weber, 2020).
Autant dans la formation professionnelle duale ou scolaire que dans la formation professionnelle continue, le personnel formateur en particulier est encouragé à divulguer ouvertement tout objectif normatif lors de la réalisation didactique concrète, et à esquiver toute tendance à l’instrumentalisation. Ainsi, au sens du concept de «biplan pédagogique» (Geißler & Rotering-Steinberg, 1985), il est nécessaire de former le personnel de la formation initiale et continue, autant sur le plan des contenus que sur celui des méthodes. Cela implique la nécessité de vivre les processus correspondants soi-même, pour pouvoir, par la suite, les mettre en pratique avec ses propres élèves dans des contextes professionnels (Reißland et al., 2024, p. 204).
- La formation professionnelle inclut des cursus de formation professionnelle duale, des formations scolaires débouchant sur une qualification professionnelle totale ou partielle, ainsi que la formation professionnelle continue (Kutt et al., 2016, p. 379). Contrairement à la formation continue en entreprise, la formation professionnelle continue n’est pas conçue pour être utilisée dans une entreprise particulière mais est «conçue sur un plus long terme et vise, entièrement ou en partie, à obtenir un diplôme professionnel de formation continue reconnu» (Frommberger, 2016, p. 26), la plupart du temps par le biais d’une formation professionnelle complémentaire ou d’une reconversion.
- Les ODD pourraient avoir pour conséquence que seuls les objectifs faciles à réaliser soient poursuivis, sans provoquer de tensions. Les questions directrices apportent une aide pour se pencher également sur les objectifs plus difficiles (Holst & Hantke, 2023, p. 53).
- Les contenus fournis à titre d’exemple montrent bien que des conflits d’objectifs ou des contradictions peuvent exister entre la pratique professionnelle concrète et la durabilité. Si, par exemple, «des aspects environnementaux et sociaux sont pris en compte, cela peut induire des coûts individuels plus élevés pour le client ou la cliente, alors même que les coûts pour la collectivité baissent» (Holst & Hantke, 2023, p. 53). Dans le cadre des processus d’enseignement et d’apprentissage orientés sur le développement durable, l’approche individuelle de ce type de contradiction est favorable à l’éducation puisqu’elle permet, entre autres, de contrecarrer le risque d’instrumentalisation susmentionné.
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