Nécessités sociales et besoins subjectifs de formation: imbrication des perspectives
L’article vise à faire ressortir la différenciation entre les nécessités sociales et les besoins subjectifs de formation. Les nécessités sociales de formation sont formulées de manière abstraite à partir du niveau macro des sous-systèmes de la société, tels que le système social, le système politique et le système économique. Au-delà des nécessités de formation définies au niveau de la société, les individus articulent des besoins subjectifs de formation qui peuvent porter sur tous les domaines de la vie. La différenciation entre les nécessités sociales et les besoins individuels de formation permet, d’une part, de déterminer les objectifs et intérêts correspondants, mais aussi de mettre en évidence les développements qui s’y opposent. D’autre part, l’imbrication des perspectives visée ici montre que les nécessités et besoins à l’échelle de la société et de l’individu sont en interaction au niveau des processus et peuvent s’influencer mutuellement.
1. Introduction
L’article tend d’une part à présenter ces différentes perspectives sociales et individuelles à l’aide d’exemples sélectionnés, à montrer comment les nécessités de formation sont définies au niveau de la société et quel poids leur est accordé. Les résultats d’une étude qualitative sur les effets de la participation multiple à des manifestations de congé de formation conformément aux réglementations correspondantes de la loi en République fédérale d’Allemagne mettent en évidence la portée des besoins subjectifs de formation. D’autre part, le dernier chapitre de l’article fournit quelques indications sur l’importance que peuvent avoir, au niveau de l’activité d’apprentissage des adultes, les liens et l’interaction entre les nécessités de formation formulées à l’échelle de la société et les besoins subjectifs de formation.
Les termes de nécessité de formation et de besoin de formation renvoient à des perspectives différentes: tandis que la nécessité de formation est déterminée et recensée d’un point de vue extérieur, le terme de besoin de formation fait référence à l’articulation des objectifs de formation et de qualification de personnes individuelles, les sujets de la formation. La nécessité de formation peut être définie au niveau macro par la politique, notamment en vue d’évolutions politiques et économiques futures qui peuvent aller de pair avec des attentes ou exigences changeantes de formation et de qualification de la population. Cela signifie que les individus doivent se préparer individuellement et tout au long de la vie à de nouvelles exigences et nécessités de qualification, et qu’il en va de même des acteurs du niveau méso chargés de tâches de formation et de qualification. Il s’agit donc d’une part d’entreprises, de prestataires, d’autorités, etc., et d’autre part d’organisations et d’institutions de formation, qui doivent réagir aux nécessités futures de formation définies au niveau macro et le satisfaire. En parallèle, les organisations anticipent également d’elles-mêmes les changements possibles dans leur domaine.
En revanche, les besoins de formation des individus se fondent sur des objectifs, des intérêts et des orientations subjectives qui apparaissent au cours de la vie. Elles peuvent concorder avec les attentes de la société. Mais les individus peuvent également poursuivre des aspirations de formation subjectives plus larges se manifestant sous forme de processus d’apprentissage expansifs ou transformateurs.
2. Nécessités sociales de formation: acteurs et intérêts
Nous présentons ci-après la façon dont les acteurs du niveau macro définissent, en fonction de quels intérêts, les nécessités sociales de formation. Il ne s’agit donc pas de questions portant sur le recensement des nécessités de formation continue en termes d’exigences et de développement de la qualité; cette perspective concernerait l’action professionnelle concrète au niveau méso (Faulstich et Zeuner 2010, p. 41 ss). Dans beaucoup d’États du monde occidental, la définition des nécessités sociales de formation à long terme, qui a généralement lieu au niveau macro de la politique (de la formation), génère une certaine polarité. Car les fonctions de la formation et de la qualification peuvent présenter des différences considérables selon que l’on met l’accent sur des objectifs anthropologiques, sociopolitiques ou économiques pour la formation de la population.
Dimensions des nécessités sociales de formation
Dans l’éducation des adultes, on trouve tous ces objectifs, selon les acteurs et les intérêts en jeu. Du point de vue anthropologique, l’éducation des adultes est motivée par le besoin inhérent à l’être humain d’apprendre et de se former; l’accent est donc mis sur la formation générale. Du point de vue économique, le développement économique et la préservation de la compétitivité internationale servent d’arguments principaux pour un renforcement de la formation (continue) professionnelle. L’objectif sociopolitique des États démocratiques est de préserver et de développer la démocratie comme forme de gouvernement ou de vie, ce qui exige la transmission de contenus d’éducation politique à toutes les générations (Zeuner 2009).
Dans les sociétés modernes du savoir, les discours publics sur la formation et les nécessités sociales de formation s’articulent la plupart du temps autour d’aspects de la formation professionnelle initiale et continue. Ils se réfèrent à des processus de transformation économiques concrets qui peuvent déboucher sur des changements structurels du marché de l’emploi et de l’organisation du travail. Ces derniers sont souvent déclenchés par des développements technologiques (par exemple la numérisation) qui peuvent avoir une influence directe et indirecte sur les processus de travail des entreprises (Umbach et al. 2020).
Qualifications clés et compétences
L’anticipation des changements peut faire l’objet de stratégies de formation continue qui se reflètent dans la définition de futures nécessités de formation. C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire les propositions émises depuis la fin des années 1970 pour l’acquisition de qualifications ou compétences clés, dans le cadre des discussions sur l’apprentissage tout au long de la vie. Là encore, diverses approches ont été élaborées: certaines défendant une conception globale de la formation et d’autres entendant surtout l’apprentissage tout au long de la vie comme une adaptation permanente des qualifications aux besoins du marché du travail (Schreiber-Barsch et Zeuner 2018).
Cela mènerait trop loin de détailler ici les développements et discours à propos des compétences professionnelles dans le contexte du présent article (cf. Zeuner 2009). Notons toutefois que l’Union européenne également s’est penchée continuellement depuis la publication du Mémorandum sur l’éducation et la formation tout au long de la vie (2001) sur des questions de l’acquisition de compétences dans différents domaines (Schreiber-Barsch et Zeuner 2018). Ici, l’Union européenne met l’accent sur des compétences, exploitables au niveau professionnel, fondées en règle générale sur les besoins d’un marché international de l’emploi en mutation permanente et sur le maintien de la compétitivité des États.
En même temps, on trouve dans les documents des indications relatives au développement de compétences visant à l’agencement politique des sociétés. Au départ, dans les années 1990, cela a été motivé par les processus de transformation démocratiques des États d’Europe orientale. Par la suite, on a régulièrement évoqué, en vue des processus d’intégration européenne, l’importance des «compétences citoyennes». Dans la plus récente recommandation du Conseil du 22 mai 2018 relative aux «compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie», on lit à ce propos:
«Les compétences citoyennes sont la capacité à agir en tant que citoyens responsables et à participer pleinement à la vie civique et sociale, en se fondant sur la compréhension des notions et structures sociales, économiques, juridiques et politiques de l’évolution de la situation mondiale et du développement durable» (Conseil de l’Union européenne 2018, p. 10).
Oskar Negt: compétences sociales
Le philosophe social allemand Oskar Negt (*1934) a formulé un objectif similaire dès le milieu des années 1980, lorsqu’il a présenté son concept de «compétences sociales» en vue d’une réforme de l’éducation se fondant sur une nouvelle notion de la formation (Negt 1993). Negt a présenté les compétences sociales comme une mise à jour de son concept pour l’éducation ouvrière critique, publié pour la première fois en 1968 sous le titre Imagination sociologique et apprentissage exemplaire (Negt 1975). Cet écrit a été rédigé sur la base de son expérience dans le travail syndical de formation, en discussion avec des syndicalistes et des formateurs d’adultes (Brock 2014). Pour l’éducation ouvrière, Negt voulait développer un concept de formation qui se distingue de l’«idéologie humaniste de l’éducation» et le définir ainsi:
«L’éducation comme un processus d’apprentissage collectif [...] qui augmente l’imagination sociologique et politique et permet à l’individu d’apprendre de manière autonome, de distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas et de transposer les nouvelles informations en actions dans le contexte de processus émancipateurs» (Negt 1974/1976, p. 363).
Le point de départ de ses considérations des années 1980 était constitué par les processus de transformation politiques, mais également économiques et technologiques, en partie perçus par certains comme des menaces et donc comme des crises et débouchant sur un «état d’urgence en matière d’orientation» (Negt 2016, p. 10). Il entend l’éducation comme un moyen de lutter contre l’insécurité et la désorientation. Pour Negt, ces développements sont causés, entre autres, par une «crise d’érosion culturelle» croissante «caractérisée par le fait que les anciennes valeurs, attitudes et normes ne sont plus acceptées les yeux fermés, qu’il n’y en a pas encore de nouvelles, mais qu’on les recherche intensément» (Negt 2016a, p. 11).
Negt a défini dans les six compétences (compétence identitaire, compétence historique, compétence en matière d’équité, compétence technologique, compétence économique, compétence écologique) des champs d’action sociaux essentiels qui constituent à son sens la base d’une éducation politique critique et peuvent fournir aux individus des repères d’orientation (Negt, 2010). La réflexion sur les compétences doit aider les personnes apprenantes à déceler et à comprendre les bases, les perspectives et les conséquences possibles des changements sociaux et économiques, à y réfléchir et à imaginer des alternatives communes. Il ne s’agit donc pas seulement de réactions individuelles aux changements, par exemple dans le sens d’une adaptation professionnelle, mais d’une anticipation collective d’idées et de concepts pour le développement d’une société humaine et démocratique, et donc de l’action politique dans des sociétés démocratiques (Zeuner 2014).
L’objectif des compétences sociales, selon Negt, consiste d’une part à transmettre des connaissances d’orientation relatives aux différentes compétences, et d’autre part à mettre en évidence leurs rapports et interactions thématiques. Les personnes apprenantes acquièrent des aptitudes et des connaissances qui leur permettent d’élargir leur sens critique et leur jugement. En même temps, elles doivent apprendre à gérer les contradictions sociales:
«Mais si la ‘mise en rapport’ est le but propre de l’apprentissage, la pensée dialectique, c’est-à-dire le cheminement vivant au sein de contradictions qui ne peuvent être ni éliminées ni contournées, est d’une extrême actualité» (Negt 1993, p. 661; souligné dans l’original).
En tant que personnes responsables, elles peuvent dans le sens le plus large du terme développer une force créatrice personnelle et sociale et devenir ainsi, grâce à leur capacité de jugement politique, des «sujets politiques» (Negt 2010, p. 32). Car, selon Negt:
«Je ne construis pas l’utopie d’un individu politique mais tente de déterminer les éléments constitutifs de la construction de l’identité politique. Je suis parfaitement conscient des fractures de la sphère politique dans laquelle agissent les individus» (ibid., souligné dans l’original).
Negt a développé les objectifs esquissés ici du concept des compétences sociales avant que les débats sur les qualifications et compétences clés n’atteignent la politique européenne de la formation. Il les a toujours considérés comme un contre-projet aux concepts fonctionnels et instrumentaux qui visent essentiellement à améliorer l’employabilité et donc l’adaptation de la population aux besoins de l’économie. Negt, en revanche, définit des nécessités sociales de formation par rapport au soutien et au développement de sociétés démocratiques. Cela suppose une éducation politique régulière de toutes les générations de la population:
«Seule la démocratie a besoin de l’éducation émancipatrice, car elle seule doit être apprise. Jour pour jour, jusque dans le grand âge. Il n’y a pas de démocratie sans démocrates; la formation émancipatrice vise l’éducation d’individus qui considèrent les affaires de la société comme les leurs propres» (Negt 2013, p. 37).
Le rôle de l’éducation politique consiste à fournir un travail de traduction et de médiation, afin d’éviter que la population soit coupée du savoir des experts et des spécialistes et n’ait pas l’opportunité de développer sa propre capacité de jugement. Negt craint en effet que cela empêche les processus d’apprentissage et «favorise, à l’issue de la déresponsabilisation des personnes aptes au savoir, une analphabétisation politique des citoyens» (Negt 2016a, p. 16; souligné dans l’original).
3. Besoins de formation: motifs subjectifs et aspirations
Les besoins subjectifs de formation des individus sont justifiés de manière similaire aux nécessités sociales de formation décrites plus haut. Si l’on part d’une perspective anthropologique, il est dans la nature de l’homme de vouloir apprendre et acquérir des connaissances afin de développer sa personnalité dans les directions les plus diverses. L’éventail des processus et des contenus d’apprentissage est sans limites et repose essentiellement sur des intérêts individuels. Par ailleurs, des motifs sociaux, politiques ou économiques jouent un rôle pour la définition des besoins subjectifs de formation, ce qui renvoie à l’interaction susmentionnée entre les intérêts subjectifs et les nécessités de formation formulées par la société.
Aspirations d’effet comme point de départ des besoins subjectifs de formation
Au moyen de quelques exemples, nous illustrons ci-après les dimensions des aspirations subjectives d’effet qui sont déterminantes pour la définition des besoins de formation. Les aspirations d’effet s’entendent comme des objectifs subjectifs qui peuvent être réalisés ou atteints à l’aide de processus de formation. Les aspirations d’effet peuvent être de portées diverses. Elles peuvent concerner l’apprentissage de contenus concrets afin de pouvoir mieux exécuter une certaine action à l’avenir: l’apprentissage d’une langue étrangère sert à la communication; l’apprentissage et la pratique d’un sport sont bons pour la santé; les processus d’apprentissage culturels ou artistiques soutiennent l’épanouissement personnel. Mais les aspirations d’effet peuvent également comprendre des idées plutôt vagues, par exemple celle d’élever son propre niveau de formation ou de combler des déficits de connaissances (ressentis). Des aspirations d’effet plus larges portent par exemple sur l’ascension sociale, une réorientation professionnelle ou un repositionnement dans la société. À partir des aspirations subjectives d’effet, formulées de quelque manière que ce soit, les individus peuvent ensuite déduire des besoins concrets de formation qui se manifestent dans des processus d’apprentissage qui peuvent être de nature formelle, non formelle ou informelle, selon la forme ou le format d’apprentissage jugé le plus approprié.
Congé de formation: aperçus d’une étude
Afin d’illustrer le rapport entre les aspirations d’effet supérieures et les besoins de formation qui en découlent, nous proposons ci-après un aperçu des résultats d’une étude qualitative sur la participation multiple (trois fois ou davantage) d’adultes (âgés de 21 à 64 ans) à des manifestations de congé de formation (Zeuner et Pabst 2022).1
De telles manifestations sont proposées par des organismes responsables reconnus dans 14 des 16 länder allemands dans lesquels il existe des lois relatives aux congés de formation.2 Ces lois donnent aux salariés assujettis à la sécurité sociale le droit de prendre cinq jours de congé par an pour participer à des manifestations de formation, en continuant à toucher leur salaire. Selon la loi du land en question, les travailleuses et travailleurs peuvent participer à des manifestations de formation continue professionnelle et d’éducation politique. Certaines lois permettent en outre une participation à des manifestations de formation générale des adultes, de formation culturelle, d’éducation à la santé ou de formation continue au bénévolat. Les lois garantissent un droit individuel à la formation continue. Les personnes intéressées font une demande de congé auprès de leur employeur; ce dernier n’est autorisé ni à exercer une influence sur le choix des formations ni à refuser en permanence une participation.
Ces lois, qui ont en partie été établies dès le milieu des années 1970 dans quelques länder de la République fédérale d’Allemagne, s’alignaient sur des nécessités sociales de formation de niveau supérieur formulées par la politique de la formation: elles devaient d’une part permettre d’atteindre des groupes cibles à faible niveau d’instruction et avoir un effet d’impulsion incitant les personnes participantes à s’engager dans des processus d’apprentissage tout au long de la vie. D’autre part, on avançait dès les années 1970 l’argument de la nécessité sociale d’une population disposant d’une bonne éducation politique, et celui de l’adaptation des qualifications professionnelles des individus aux processus de transformation économiques.
Même si la participation à des manifestations de congé de formation ne répond pas aux attentes du législateur (en moyenne, 1 à 2 % des personnes qui y ont droit y participent), il faut néanmoins se demander dans quelle mesure la participation dans le cadre des lois sur le congé de formation a les impacts et effets visés. Cette question se situait au centre du projet auquel nous faisons référence ci-après. Dans le cadre de ce projet qualitatif, 27 entretiens narratifs explorateurs ont été menés avec des personnes ayant participé à plusieurs manifestations; ces entretiens ont été transcrits et analysés selon les règles de la théorie ancrée (Zeuner et Pabst, 2020, 2022).
Le congé de formation comme format de formation subjectivement apprécié
Les déclarations des personnes à participation multiple contiennent une dimension temporelle selon laquelle on peut faire la distinction entre les aspirations d’effet et les réalisations d’effet. Les personnes interrogées associaient à la participation à une manifestation diverses aspirations d’effet, et en attendaient des possibilités de développement individuel variées grâce à l’acquisition de nouveaux contenus. La participation devait contribuer au développement de nouveaux intérêts d’apprentissage, à des expériences et à des résultats d’apprentissage subjectifs, et était considérée comme un investissement pour l’avenir. À travers la dimension cognitive de l’apprentissage, l’acquisition d’un nouveau savoir devait déboucher sur un jugement subjectivement plus large, un esprit critique et une capacité de réflexion. Par rapport à la vie privée, à l’engagement social et politique ou à l’action professionnelle, on anticipait un élargissement ou un changement des possibilités et perspectives subjectives d’action. Le congé de formation à des fins professionnelles notamment devait soutenir des processus biographiques de transformation et préparer la transition entre le travail et la retraite.
Les personnes interrogées souhaitaient réaliser les diverses aspirations grâce à des processus de formation; elles ont constaté rétrospectivement qu’au départ elles poursuivaient des intérêts de formation très généraux et relativement peu spécifiques, qu’elles ont qualifiés de mouvements de recherche. En outre, elles ont toutefois également été en mesure de formuler des besoins de formation concrets fondés sur des motifs subjectifs.
Il est intéressant de constater que les processus d’apprentissage et de formation en soi, indépendamment des contenus à apprendre, étaient déjà associés à des attentes. Ainsi, il a été souligné que l’apprentissage dans le cadre du congé de formation devrait se distinguer de l’apprentissage scolaire et professionnel: «Un peu de liberté, un peu d’évasion, un peu s’occuper de soi-même» [Gr 02_ 270], associé à la possibilité «d’avoir une fois aussi un moment de répit ou de diversion pour se pencher sur d’autres sujets» [Micro 12_195].3
Les besoins de formation identifiés par les personnes interrogées pour elles-mêmes portent au niveau du contenu sur l’information et l’orientation politiques, sur des intérêts thématiques spécifiques (langues, écologie, migration, contextes politiques) ou encore sur des thèmes professionnels. La participation au congé de formation est associée à l’attente d’élargir son propre horizon au-delà du contexte du travail et des connaissances professionnelles. On vise à aborder intellectuellement de nouveaux thèmes et les idées d’autres personnes par le biais de l’interaction et de la rencontre.
«Il y a beaucoup de domaines qui se situent pour ainsi dire à côté, où l’on a également des intérêts, des capacités, une curiosité qui n’est pas satisfaite par le travail, et ce n’est d’ailleurs pas la tâche du travail, et le faire ainsi dans un autre domaine par le biais du congé de formation. Je trouve cela très gratifiant» [Micro 07_321-32].
L’augmentation du savoir en tant qu’objectif est décrite de manières très diverses. Les indications vont d’une curiosité plutôt indéfinie d’apprendre du nouveau aux intérêts thématiques concrets. D’une part, un interlocuteur souhaite améliorer ses connaissances d’anglais pour ses études en emploi; d’autre part, il aimerait élargir à l’avenir son savoir culturel, tant par intérêt pour sa culture personnelle que parce qu’il suppose pouvoir tirer profit de telles connaissances sur le plan professionnel, puisqu’il travaille dans le domaine social.
«La formation culturelle m’intéresserait elle aussi. Par exemple en me penchant sur d’autres religions […] ainsi que sur des thèmes politiques qui pourraient s’y intégrer. Oui. (I: Oui.) Sincèrement, j’aimerais moins le faire à des fins professionnelles. Mais plutôt utiliser le congé de formation pour ma culture personnelle» [Micro 15_464-468].
Certaines personnes interrogées ont de préférence, voire exclusivement, participé à des voyages d’études dans le cadre du congé de formation. Par les voyages, on cherche les rencontres «avec d’autres» (participant·e·s, chargé·e·s de cours, expert·e·s, mais également cultures), et l’on en attend notamment un élargissement de l’horizon: «Vous découvrez ainsi de nombreux caractères différents. C’est vraiment un enrichissement puisque, sans cela, vous ne feriez jamais la connaissance de la plupart de ces personnes» [Micro 08_1116-1118].
La formation continue professionnelle dans le cadre du congé de formation est souvent utilisée pour apprendre des choses qui ne sont pas proposées par la formation continue en entreprise, ou auxquelles les personnes interrogées n’ont pas accès. Elle est aussi partiellement utilisée pour élargir les perspectives professionnelles. Dans le sens d’une éventuelle réorientation professionnelle, la participation est perçue comme un acte d’essai où l’on développe de nouveaux points de vue, mais aussi où l’on découvre des champs d’action professionnels inconnus. Ainsi, une personne interrogée explique:
«J’avais effectivement envisagé à certains moments la possibilité d’un élargissement ou d’un changement professionnel, et pour cela, le congé de formation est tout simplement génial, car il permet de voir si cette une option est vraiment idéale pour moi ou pas» [Micro 12_176-180].
L’analyse des entretiens avec les personnes ayant participé plusieurs fois à des manifestations de congé de formation montre que les aspirations d’effet formulées au préalable sont transposées en besoins subjectifs de formation, qui peuvent aller d’idées abstraites plutôt vagues des effets possibles à des intérêts thématiques très concrets. Les motifs pour la formation reflètent notamment les objectifs du législateur, qui consistent à inciter les bénéficiaires à s’engager dans des processus d’apprentissage tout au long de la vie, à faire preuve de flexibilité professionnelle, à s’instruire et à participer sur le plan politique.
4. Conclusion
L’article avait pour objectif de montrer de quelle manière les nécessités de formation formulées à l’échelle de la société et les besoins subjectifs de formation peuvent s’imbriquer dans l’activité de formation effective de la population. D’une part, la présentation des compétences sociales selon Oskar Negt indique que les nécessités de formation exprimées à l’échelle de la société peuvent, selon l’objectif et le fondement théorique, formuler malgré des termes identiques des aspirations d’effet différentes: alors que le discours d’orientation économique de l’UE et celui de la formation continue sur les qualifications et les compétences clés mettent l’accent depuis des décennies sur le maintien de la compétitivité de l’économie et l’employabilité de la main-d’œuvre, Negt déplace l’importance des compétences dans la sphère politique. Il définit en elles une nouvelle notion de l’éducation, qui se réfère en particulier à l’éducation politique, en contrepoint de l’«impérialisme de l’économie d’entreprise» qui imprègne le système éducatif (Negt 2010, p. 239). Il entend l’éducation comme un «équipement de base de la personnalité» (ibid.), ce qui signifie que l’éducation «est essentiellement aussi le développement de l’Eigensinn, de réserves de savoir et de jugement qui ne sont pas toujours immédiatement applicables. C’est uniquement cela qui rend les individus résistants à la manipulation et à la séduction» (ibid., 240). Selon lui, cette perspective désigne une nécessité sociale de formation essentielle dans une démocratie.
L’imbrication entre les nécessités sociales concrètes de formation et leur transposition en besoins de formation subjectifs est mise en évidence par l’exemple de l’instrument de politique éducative représenté par le congé de formation et son utilisation par les bénéficiaires. Avec ces lois, les législateurs poursuivent l’objectif de répondre à des nécessités données de la politique éducative, et ils les considèrent comme une source d’impulsions pour inciter les bénéficiaires à développer des besoins subjectifs de formation dans ce sens. Les interactions, interprétées comme une imbrication des perspectives, apparaissent là où les participant·e·s ont recours au congé de formation conformément aux intentions du législateur, de l’environnement social ou de l’employeur, et traduisent les attentes et les objectifs qui y sont mentionnés en besoins subjectifs de formation. Autrement dit, ils s’adaptent ainsi à des exigences posées de l’extérieur et agissent conformément au système.
En même temps, on constate que, du fait de sa conception méthodologique-didactique, l’instrument du congé de formation est approprié, surtout dans le domaine des manifestations de formation politiques, pour stimuler et mettre en route – même chez des personnes peu habituées à apprendre ou peu instruites – des processus d’apprentissage qui peuvent amener à formuler de nouveaux besoins de formation. Chez les personnes interrogées et à participation multiple, on remarque un mécanisme de renforcement et d’encouragement résultant des expériences d’apprentissage récurrentes et variées dans diverses manifestations. Autrement dit, la possibilité de participer au congé de formation élargit des perspectives individuelles et offre des possibilités d’effet et des impacts éventuellement non intentionnels au niveau du développement biographique – ce qui suscite également de nouveaux besoins de formation.
- Le projet intitulé «Congé de formation: contexte, développements et perspectives. Aspects structurels et biographiques de l’apprentissage au cours de la vie» a été soutenu par l’Institut de formation professionnelle de Hambourg (HIBB) et le Ministère de la Science, de la Formation continue et de la Culture (aujourd’hui Ministère du Travail, des Affaires sociales, de la Numérisation et de la Transformation) du land de Rhénanie-Palatinat du 1er juin 2017 au 31 décembre 2019.
- https://www.bildungsurlaub.de/infos_informationen-und-gesetze-nach-bundeslaendern_18.html (consulté le 31 janvier 2022).
- Les citations sont extraites des entretiens transcrits et numérotés qui ont été menés dans le cadre du projet. Les chiffres (01-27) renvoient à la numérotation des entretiens individuels. «Micro» indique une citation au niveau micro (= personnes à participation multiple). «Gr» désigne les discussions de groupe, qui ont eu lieu en 2019, une fois à Hambourg et une fois en Rhénanie-Palatinat, avec des personnes à participation multiple. Les chiffres suivant un sous-tiret (p. ex. _78-81) indiquent l’emplacement dans l’entretien en question.
Références
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Conseil de l’Union européenne (2018): Recommandation du Conseil du 22 mai 2018 relative aux compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie. 2018/C 189/01. Journal officiel de l’Union européenne du 4.6.2018. Bruxelles. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/DE/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018H0604(01)&from=EN (consulté le 30 janvier 2022).
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Christine Zeuner est professeure titulaire de la chaire d’éducation des adultes à l’Université Helmut Schmidt / Université de la Bundeswehr à Hambourg. Contact: zeuner@hsu-hh.de