Modifications des compétences des formateurs et formatrices à la lumière de la réforme du système modulaire FFA
Dans le cadre de la réforme du système modulaire FFA, le profil de compétences des formateurs·trices dans la formation continue a été nettement élargi. On n’a pas seulement pris en compte les compétences opérationnelles axées sur l’application, mais également des compétences métier de niveau supérieur. Le profil de compétences à présent disponible est donc guidé d’une manière plus globale par la question de ce qui fait un bon enseignement/apprentissage.
En tant qu’organisation faîtière, la Fédération suisse pour la formation continue FSEA s’emploie depuis les années 1990 à promouvoir la professionnalisation des formateurs·trices. Elle est notamment également présente dans la formation professionnelle supérieure et la formation continue avec le brevet fédéral de formateur·trice. Elle a à présent lancé une réforme de cette formation, que l’auteur a soutenue en assumant une fonction d’accompagnement pédagogique professionnel. Afin de répondre aux exigences de la didactique des domaines professionnels (Rosen & Schubiger, 2013), toutes les parties prenantes ont été invitées à participer à l’élaboration du profil de compétences. Il s’agissait dans un premier temps des employeurs et employeuses des formateurs·trices, ainsi que des formateurs·trices qui avaient déjà suivi le cours. Dans une deuxième étape, la perspective scientifique a été intégrée. Dans ce cadre, on a discuté de la didactique actuelle de la formation des adultes et de l’enseignement/apprentissage de qualité. La FSEA elle-même dispose, en tant qu’organisation faîtière, d’une expertise élevée en matière de didactique pour l’éducation des adultes. À côté des exigences stratégiques de l’organe responsable, il fallait également tenir compte des réglementations du Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI), puisque le brevet fédéral de formateur·trice constitue une certification formelle de la formation professionnelle supérieure au degré tertiaire.
Au début du processus de réforme, on a en majorité formulé des compétences opérationnelles axées sur l’application, que l’on pourrait également qualifier d’instrumentaire du métier ou d’aptitudes de base. Elles décrivent au fond les exigences actuelles posées aux formateurs·trices. Cette concentration sur l’application et l’exploitation sur le marché du travail n’est pas inusitée, et est observée par l'auteur dans le développement des profils professionnels de nombreux métiers. En intégrant des experts et expertes du domaine de la science et de la formation des adultes, on a en plus pu dégager des compétences métier de niveau supérieur, telles que les attitudes et les standards de l’éducation des adultes ainsi que les compétences de l’avenir.
Un profil de compétences ouvert sur l’avenir
Le profil de compétences à présent élaboré peut ainsi certainement être considéré comme complet et ouvert sur l’avenir. Il allie l’activité de planification aux niveaux micro et méso, l’action méthodique, l’interaction avec des individus ou en groupes, mais aussi l’action de réflexion et l’alignement sur des standards de la profession.
Profil actuel des compétences d’action pour le brevet fédéral de formateur·trice
A Planifier des activités de formation et d’apprentissage
A1 Planifier sommairement une session d’enseignement/d’apprentissage ou d’encadrement de formation en tenant compte des directives institutionnelles et du curriculum
A2 Construire et documenter, sous forme de planification détaillée axée sur les processus d’apprentissage, les contenus et la forme de l’enseignement et de l’apprentissage
A3 Formuler les objectifs d’apprentissage opérationnalisés selon les compétences prescrites
A4 Planifier l’utilisation des médias d’enseignement et d’apprentissage
A5 Développer des compétences et des tâches d’apprentissage axées sur les objectifs
A6 Planifier le transfert avec des conceptions et des méthodes adéquates
A7 Planifier des procédures d’examen valides
A8 Planifier des formes de communication fondées sur les technologies pour soutenir l’apprentissage
A9 Planifier des contextes d’apprentissage de type «blended learning»
A10 Adapter et utiliser des médias simples, fondés sur la technologie, à différents processus d’apprentissage
A11 Intégrer la réflexion relative à la didactique professionnelle dans la planification des sessions d’enseignement/d’apprentissage
B Mener des activités de formation et d’apprentissage
B1 Utiliser différentes formes d’enseignement et d’apprentissage dans le cadre d’un processus d’apprentissage et en fonction des objectifs fixés
B2 Guider les processus de travail et les étapes d’apprentissage
B3 Utiliser les médias basés sur la technologie durant le processus d’enseignement/d’apprentissage
B4 Mettre en œuvre la planification détaillée en fonction des circonstances et des processus
B5 Assurer collectivement les résultats d’apprentissage dans le processus d’apprentissage
B6 Évaluer les performances et le comportement d’apprentissage
B7 Utiliser les méthodes et procédés adéquats pour le transfert et la vérification des résultats de l’apprentissage
B8 Concevoir des activités d’apprentissage et des interactions sociales pour favoriser l’apprentissage
B9 Réaliser méthodiquement la différenciation au sein de groupes hétérogènes
B10 Utiliser des méthodes orientées pratiques dans des situations d’enseignement/d’apprentissage complexes
C Évaluer les activités de formation et d’apprentissage
C1 Réaliser des feed-back complets en exploitant des moyens pédagogiques appropriés
C2 Mettre en œuvre les mesures d’assurance qualité prescrites
C3 Développer et garantir sa propre qualité d’enseignement/d’apprentissage
D Interagir avec les participant·e·s dans le processus d’apprentissage
D1 Entretenir des relations empreintes de respect avec les participant·e·s
D2 Permettre l’interaction et la communication respectueuses entre les participant·e·s dans le processus d’apprentissage
D3 Favoriser un environnement propice à l’apprentissage
E Accompagner les apprenant·e·s individuellement, en mettant l’accent sur le soutien et les processus d’apprentissage
E1 Fournir aux participant·e·s des retours sur les compétences et les progrès d’apprentissage
E2 Déterminer les objectifs d’apprentissage dérivés des compétences du point de vue du formateur ou de la formatrice ou conjointement avec les participant·e·s et vérifier leur réalisation
E3 Concevoir des processus d’accompagnement en tenant compte de l’auto-organisation et de l’auto-efficacité
E4 Mener des entretiens individuels en ayant conscience de son attitude et des rôles dans l’entretien
E5 Saisir les comportements d’apprentissage, identifier les problèmes d’apprentissage et aider la personne accompagnée dans la résolution des problèmes
E6 Choisir avec justification les méthodes d’accompagnement de l’apprentissage
E7 Renseigner une personne intéressée sur les possibilités de formation continue et de certification dans son domaine spécifique
F Diriger et modérer les groupes
F1 Percevoir et comprendre les dynamiques de groupe
F2 Percevoir le comportement relationnel d’un groupe (communication) et l’influencer activement
F3 Intervenir dans les processus de groupes de manière appropriée en regard de la situation
F4 Clarifier les rôles dans les groupes
F5 Développer des conventions d’apprentissage avec les groupes
F6 Animer le contenu selon les questions à traiter
F7 Animer les processus d’interactions au sein des groupes
G Concevoir des activités de formation et d’apprentissage axées sur les compétences et le transfert
G1 Clarifier, dans son propre domaine spécialisé, le besoin de formation ainsi que les intérêts et les prérequis du public cible pour une unité de formation
G2 Formuler des compétences spécifiques et interdisciplinaires
G3 Développer un concept didactique pour une unité de formation spécifique
G4 Concevoir la validation de l’acquisition des compétences
G5 Développer un concept de transfert pour une unité de formation
G6 Concevoir des sessions d’enseignement/d’apprentissage orientées sur une thématique avec une biographie spécifique
H Réfléchir à leurs propres actions professionnelles et les développer continuellement
H1 Clarifier son propre rôle et influencer en conséquence
H2 Réfléchir à sa propre conception de l’enseignement et de l’apprentissage, à ses propres valeurs, attitudes et normes dans le contexte de son expérience et de ses ressources spécifiques
H3 Vérifier son propre comportement et l’adapter si nécessaire
H4 Réfléchir aux problèmes de la pratique et les résoudre au sein d’une équipe collégiale
H5 Développer et appliquer des stratégies pour la gestion des situations difficiles
H6 Anticiper et prendre en compte les changements, les incertitudes, les contradictions et la complexité dans ses propres mises en œuvre didactiques
H7 Développer une conception de la profession dans son propre contexte de travail
H8 Intégrer la diversité lors de ses réflexions sur les sessions d’enseignement/d’apprentissage
I Mettre en œuvre des normes éthiques
I1 Encourager et occasionner l’apprentissage tout au long de la vie
I2 Préserver l’intégrité des participant·e·s
I3 Exploiter consciemment la diversité, l’interculturalité, la multiculturalité et la transculturalité lors de situations opportunes et constructives
I4 Libérer son activité professionnelle des préjugés
I5 Accepter les diverses orientations de valeurs et procéder à des changements de perspective
I6 Interpréter les processus d’enseignement/d’apprentissage en tant que concrétisation de l’apprentissage
I7 Viser l’excellence dans ses activités professionnelles
I8 Permettre l’égalité des chances
I9 Planifier et mettre en œuvre les ressources en personnel et en matériel de façon durable
Le profil de compétences est formulé de façon à pouvoir être adapté aux dispositifs d’apprentissage les plus divers dans les domaines formel et non formel, dans la formation initiale comme au degré tertiaire et quaternaire. Un nouvel aspect qui est venu s’y ajouter est que des dispositifs d’enseignement/apprentissage dans l’accompagnement de l’apprentissage sont désormais également pris en compte.
Catégories du profil de compétences
Le profil de compétences englobe trois catégories, qui présentent des caractéristiques différentes.
Catégorie I: compétences pré-professionnelles
Certaines situations se répètent régulièrement. Elles peuvent être gérées au moyen d’une certaine routine d’action et d’un savoir ou savoir-faire correspondant. De telles compétences peuvent aisément être développées dans des formations finies, telles qu’un module. Elles comprennent souvent des actions complètes simples, et correspondent au modèle TOTE (test-operate-test-exit) de la psychologie du comportement et de l’action. Ces compétences opérationnelles peuvent également être qualifiées de compétences pré-professionnelles. Dans ce sens, elles sont indispensables mais pas suffisantes pour une action professionnelle, car elles ne répondent guère à la complexité de la réalité. Elles présentent un caractère instrumental et sont axées sur l’application. Elles jouissent toutefois d’une réception très favorable parmi les acteurs de la pratique.
Exemple: «Formuler des objectifs d’apprentissage opérationnalisés selon les compétences prescrites.»
Catégorie II: compétences d’action professionnelle
Pour certaines compétences, leur énoncé déjà signale qu’elles sont applicables dans diverses situations et à divers degrés de complexité. Dans ce sens, elles sont de caractère adaptatif. En revanche, ces compétences peuvent moins être développées par le biais d’un dispositif d’apprentissage fermé, mais plutôt par des répétitions à divers niveaux. Ici, l’approche d’un cours avec un curriculum en spirale et un processus continu de réflexion sur les expériences acquises s’avère utile. Les compétences de cette catégorie se manifestent dans la gestion de situations diverses, très variables et imprévisibles. Elles posent des exigences élevées aux performances cognitives et/ou à l’intelligence fluide de la profession. Le développement de ces compétences conduit à la professionnalisation effective de l'action professionnelle.
Exemple: «Développer un concept didactique pour une unité de formation spécifique.»
Catégorie III: compétences métier
La troisième catégorie peut être qualifiée de compétence transversale. Elle entre en jeu dans toutes les situations d’action et présente, outre la composante du savoir et du savoir-faire, un puissant élément d’attitude et de valeurs. Cette compétence peut être développée à travers l’action concrète, un feed-back continu et des boucles de réflexion répétées. Avec son orientation intentionnelle, elle est fondamentale et développée par le biais d’un engagement permanent au fil des années. Elle pose la base du développement et/ou de la conception de la profession.
Exemple: «Permettre l’égalité des chances.»
Tendances prises en compte
Dans le nouveau profil de compétences des formateurs·trices au niveau du brevet fédéral, on constate les accents suivants que l’on peut également voir comme une réponse aux exigences changées envers les formateurs·trices:
1. Apprendre davantage – enseigner moins
Dans un grand nombre de formations pour adultes, tant formelles que non formelles, l’orientation sujet est actuellement bien prise en compte pour l’agencement des environnements d’apprentissage. Au lieu d’unités de formation où toutes les personnes apprenantes accomplissent en même temps les mêmes étapes d’apprentissage, on permet des parcours d’apprentissage individuels. Le travail dans les ateliers de base a montré d’une manière générale que l’on met davantage l'accent sur les processus et parcours d’apprentissage individuels dans les différents environnements d’apprentissage. Le changement de paradigme d’une didactique de transmission à une didactique de facilitation apparaît de manière significative dans le présent profil de compétences.
2. Importance croissante de l’accompagnement du processus d’apprentissage
Le changement de paradigme décrit ci-dessus «apprendre davantage – enseigner moins» transforme fondamentalement le rôle des formateurs·trices. L’accompagnement de l’apprentissage, l’entretien stimulant la réflexion et l’analyse individuelle du processus et du bilan d’apprentissage posent de nouvelles exigences. Ce qui a conduit, lors de l’élaboration du présent profil de qualification, à définir un domaine séparé de compétences d’action intitulé «Accompagner les apprenant·e·s individuellement, en mettant l’accent sur le soutien et les processus d’apprentissage». Le portfolio revêt ici une importance particulière. Car, outre la promotion des processus d’apprentissage individuels, il faut également créer des possibilités de documentation et de réflexion individuelles.
L’idée du portfolio, ou e-portfolio, se retrouve actuellement dans les processus de révision de nombreux métiers. Avec les possibilités de plateformes basées sur l’informatique en nuage, l’apprentissage dans plusieurs lieux de formation peut également être encouragé.
Le portfolio est fondamentalement une méthode individuelle orientée processus, qui permet également des évaluations formatives et sommatives. Elle accompagne le processus et incite les personnes apprenantes à recueillir, à consigner et à analyser les résultats de leur travail de diverses manières. Des compétences choisies, l’ordre d’archivage, des questions de réflexion, des critères pour le travail de portfolio en tant que tel ainsi que des entretiens de bilan sont au cours de la formation des éléments importants du travail de portfolio. En tant qu’épreuve d’examen, le travail de portfolio correspond à l’appréciation des constats personnels.
Dans la formation des formateurs·trices, le travail de portfolio et son alignement sur le profil de compétences visent à inciter à une réflexion permanente sur les propres compétences métier. Formuler des compétences métier qui favorisent l’aptitude à la réflexion comptait également parmi les exigences des parties prenantes scientifiques. Avec cette approche, le système modulaire FFA recommandera vivement la démarche du portfolio aux prestataires de formation continue. Du point de vue de l’auteur, cette approche constituera, et non seulement dans le système FFA, un axe majeur du développement. Dans les années à venir, il importera de déployer cette idée au moyen de bons instruments, d’auxiliaires méthodologiques et de solutions techniques.
3. Poids accru de l’interaction et de la gestion relationnelle
L’ouvrage très remarqué «Visible Learning» de John Hattie (2012) étudie ce qui est vraiment efficace pour l’apprentissage. Il se penche méticuleusement sur cette question avec une méta-étude sur des méta-études, tenant compte de plus de 80 000 études individuelles à ce jour. D’une manière détaillée sans précédent, Hattie présente et évalue les interventions autour de l’enseignement et de l’apprentissage en fonction de leur degré d’efficacité. Malheureusement, ces comparaisons sont souvent mal comprises et parfois même utilisées abusivement pour des argumentations à des fins politiques. Ainsi, la presse tabloïd allemande a proclamé la fin de la «pédagogie anti-autoritaire» eu égard à la grande efficacité de l’«instruction directe». D’une part, l’«instruction directe» a été assimilée à tort à l’enseignement magistral encore largement répandu et à la méthode du développement par questionnement. D’autre part, des approches novatrices avec un apprentissage auto-organisé ou des formes ouvertes d’apprentissage sont confondues avec une pédagogie du laisser-faire.
Hattie résume dans son dernier chapitre ce qui importe réellement: «The teacher matters.» Il associe toutefois cette conclusion peu surprenante à des «mindsets» essentiels de formateurs·trices efficaces. Ce qui est déterminant, ce ne sont pas les méthodes concrètement appliquées, mais les attitudes et convictions des enseignant·e·s.
Ces attitudes et convictions sont par exemple les suivantes:
- Je sais qu’il s’agit avant tout d’apprentissage, et pas tellement d’enseignement.
- J’ai conscience de l’effet de mon action et l’évalue donc moi-même en permanence.
- Je suis convaincu que j’ai un impact sur l’apprentissage des personnes apprenantes.
- Je considère également les résultats des examens comme un feed-back pour moi-même et pas seulement pour les personnes apprenantes.
- Je m’emploie à assurer un réel dialogue.
- Je cherche le défi et donne le meilleur de moi-même.
- Je me sens coresponsable de bonnes relations au sein du groupe d’apprentissage.
- En tant qu’expert ou experte de l’apprentissage, je poursuis ma formation en permanence.
En résumé, Hattie décrit les «bons enseignant·e·s» comme des personnes qui s’efforcent de comprendre l’apprentissage du point de vue des personnes apprenantes.
Si l’on considère les interventions didactiques qui ont un effet puissant, on remarque qu’elles s’appuient essentiellement sur une qualité relationnelle dans le dialogue:
- instruire directement;
- ne pas étiqueter les personnes apprenantes;
- fournir un feed-back;
- accepter le feed-back.
Il s’agit dans tous ces cas d’interventions présentant les qualités relationnelles suivantes:
- exiger et encourager;
- clarifier;
- s’adresser aux apprenants et aux apprenantes sur un pied d’égalité;
- construire un rapport de confiance;
- être sans préjugés face aux apprenant·e·s.
L’importance de la relation entre les personnes en formation et leurs formateurs·trices est sous-estimée jusqu’à nos jours. Or, les résultats récents de la recherche en neurosciences sociales montrent quel impact les formateurs·trices peuvent avoir sur la neurophysiologie de leurs interlocuteurs et interlocutrices. De ce fait, Cozolino (2013) qualifie les formateurs·trices de «sculpteurs et sculptrices neurologiques». Le nouveau profil de compétences valorise nettement les compétences concernant l’agencement des relations et l’interaction.
4. Évidence de l’intégration des médias et canaux de communication numériques
L’exigence d’une intégration des médias et canaux de communication numériques a été formulée dès le début par l’organe responsable. L’idée consistait à intégrer pleinement dans la formation les compétences du module de formation continue «Soutien numérique des processus d’apprentissage». Dans les ateliers de base, avec les représentant·e·s de la pratique, on a constaté que l’emploi des médias numériques est déjà une évidence dans la pratique. Les expériences des derniers mois ont toutefois fait réaliser qu’il sera absolument insuffisant à l’avenir de numériser simplement tels quels des environnements d’apprentissage traditionnels. Les instruments numériques doivent permettre de développer de nouvelles formes d’apprentissage tels que l’e-portfolio, les collaborations indépendantes d’un groupe particulier et les co-constructions ou voies d’apprentissage personnalisées avec des tâches d’apprentissage adaptatives. Dans ce domaine, des possibilités encore insoupçonnées nous attendent, et il faut y préparer les formateurs·trices. Le profil de compétences du formateur ou de la formatrice relève ce défi et formule des compétences d’action explicites concernant l’agencement d’environnements d’apprentissage, d’interactions et de processus véhiculés numériquement. Le défi ne consistera pas à maîtriser les nouvelles possibilités techniques, mais à transposer dans des espaces et univers numériques notre savoir et nos expériences à propos d’un apprentissage de qualité.
5. Orientation exclusivement axée sur le développement de compétences
Le primat de l’orientation compétences a été systématiquement respecté dans la présente réforme, tout au moins sur le plan des documents. Malheureusement, dans la pratique, on observe toujours encore le primat du contenu. Ainsi, au début des processus d’apprentissage, on se contente souvent, pour réactiver les ressources, d’une interrogation sur les connaissances préalables. Et par la suite également, on se limite souvent à développer, appliquer et analyser un nouveau savoir. L’agencement orienté compétences d’un processus d’apprentissage tient toutefois compte, dans toutes les étapes d’apprentissage, non seulement du savoir, mais aussi du savoir-faire, des expériences, des attitudes et perspectives personnelles (Schubiger 2016, 2019).
6. Le transfert comme partie intégrante du dispositif d’enseignement/apprentissage
Le transfert doit être partie intégrante du dispositif d’enseignement/apprentissage, et non pas être un phénomène en aval. Il ne suffit pas de donner un devoir à faire à la maison à la fin du processus d’apprentissage. Afin que le transfert ait effectivement lieu, il doit être intégré à l’agencement d’ensemble de l’environnement d’apprentissage (Schubiger, 2019). En résumé:
- Le transfert a lieu dans l’interaction bidirectionnelle entre la théorie et la pratique, entre l’individu et l’environnement d’apprentissage et de fonction. Il a très rarement lieu spontanément.
- La probabilité du transfert peut être favorisée par l’agencement d’un environnement d’apprentissage approprié. Le transfert généralisé est un phénomène plutôt rare. Il est donc nécessaire de rapprocher autant que possible le champ d’apprentissage et le champ fonctionnel.
- Le transfert n’est pas une étape séparée du processus d’apprentissage mais doit y être intégré de bout en bout, de l’exposition du problème au début à l’évaluation des compétences.
- La probabilité du transfert ne dépend pas uniquement de l’agencement didactique d’un environnement d’apprentissage; il faut également prendre en considération des facteurs tels que l’aptitude individuelle au transfert (Koch, 2018).
Le présent profil de compétences des formateurs·trices tient compte de cet aspect du transfert dans l’activité de planification comme dans l’interaction.
7. Concentration sur la réflexion relative à la compétence professionnelle personnelle et son développement, en tenant compte des standards et des attitudes de la profession
À travers deux domaines explicites de compétences d’action relatives au professionnalisme, le présent profil de compétences souligne deux attitudes fondamentales de l’organe responsable:
- Le professionnalisme ne se développe qu’à travers la réflexion continue avant, pendant et après l’action (Schön, 1983). Le présent profil de compétences entend ici servir de référence et inciter les formateurs·trices à ce processus itératif tout au long de la vie.
- Les compétences d’action des domaines A à G sont en soi neutres au niveau des valeurs. Avec des normes éthiques, l’organe responsable affirme clairement et sans ambiguïté des attitudes normatives inaltérables qui confèrent au profil de compétences, outre des compétences opérationnelles efficaces et axées sur l’application, une orientation sans équivoque.
Avec ces deux domaines de compétences d’action, le présent profil de qualification s’écarte nettement de nombreux profils orientés application de la formation professionnelle supérieure, posant également des exigences au-delà des aspects empiriques. Klaus Zierer (2019), notamment cotraducteur et coauteur des ouvrages de Hattie, fait remarquer qu’il convient de tenir compte d’autres perspectives encore de la qualité de l’enseignement/apprentissage.
- Qu’est-ce qu’un apprentissage efficace? (perspective objective)
- Qu’est-ce qu’un apprentissage plaisant? (perspective subjective)
- Qu’est-ce qu’un apprentissage culturellement adéquat? (perspective intersubjective)
- Qu’est-ce qu’un apprentissage fonctionnel? (perspective interobjective)
Les systèmes scolaires asiatiques extrêmement efficaces ont notamment des revers dans le domaine de la santé mentale. Un lieu de formation où les personnes apprenantes tout comme les formateurs·trices se rendent avec plaisir peut avoir des effets qui ne sont guère mesurables, même avec les dispositifs de recherche les plus élaborés. Tout lieu d’apprentissage est également intégré à une situation sociale et à une culture, dont il ne faut pas négliger la dépendance. Un ajustement contribue à l’absence de conflits et au développement. Et c’est précisément aussi cette intégration sociale qui confère à tout lieu d’apprentissage une orientation et une tâche fonctionnelles. Ainsi, les gymnases, les écoles professionnelles, les écoles supérieures, les centres de formation continue, les services de formation des entreprises ou les hautes écoles ont une fonction bien déterminée à remplir, dont le degré d’accomplissement est révélateur de leur qualité.
Conclusion
Le présent profil de compétences des futurs formateurs·trices avec brevet fédéral reprend d’une part des compétences opérationnelles éprouvées et fondamentales pour l’enseignement et l’apprentissage. D’autre part, le profil tient compte des tendances évidentes vers un univers d’enseignement/apprentissage personnalisé, axé sur le sujet, numérisé et centré sur le processus d’apprentissage. Mais le profil s’efforce également d’esquisser le fait que les formateurs·trices aussi sont des personnes apprenantes, et qu’une didactique et une méthodologie ne déploient leur effet qu’en liaison avec un agencement approprié des relations avec les personnes apprenantes. En s’alignant sur une certification formelle de la formation professionnelle, les constats scientifiques relatifs à l’enseignement et à l’apprentissage de qualité, les bonnes pratiques et les normes éthiques de la profession, ce profil de compétences satisfait aux critères essentiels du professionnalisme.
Références
Cozolino, L. (2013). The Social Neuroscience of Education. New York & London: Norton.
Hattie, J. (2012). Visible Learning.New York: Routledge.
Koch, A. (2018). Die Transferstärke-Methode. Weinheim und Basel: Beltz.
Renkl, A. (1996). Träges Wissen: Wenn Erlerntes nicht genutzt wird. In: Psychologische Rundschau, 47 (2), pp. 78–92.
Rosen, S. & Schubiger A. (2013). Berufsfelddidaktik der höheren Berufsbildung. Bern: hep.
Schön, D.A. (1983). The reflective practitioner. How professionals think in action. New York: Basic Books.
Schubiger, A. (2016). Lehren und Lernen. Bern: Hep (2. Auflage).
Schubiger, A. (2019). Wie Transfer gelingt. Warum wir nicht immer tun, was wir Wissen. Bern: Hep.
Wilber, K. (2002). Eros, Kosmos, Logos – eine Jahrtausend-Vision. Frankfurt am Main: Fischer.
Zierer, K. (2019). Hattie für gestresste Lehrer. Baltmannsweiher: Schneider Verlag.
Andreas Schubiger (Dr phil.) est propriétaire de l’Institut I-K-T Gmbh (Institut für Kompetenzentwicklung, Training und Transfer). Il a accompagné le processus de révision FFA en qualité de chef de projet. Contact: andreas.schubiger@i-k-t.ch