28.05.2024
N°1 2024

Formation continue et diversité

Dans le domaine de l’éducation des adultes et de la formation continue, la notion de diversité évoque un maillage complexe de mots-clés, de discours, de programmes éducatifs, de concepts pratiques et d’expériences individuelles et collectives d’inclusion et d’exclusion de l’apprentissage et de l’éducation. La question majeure est, d’une part, une gestion de la diversité dans la pédagogie pour adultes et, d’autre part, la conception de contextes d’apprentissage et d’enseignement qui doivent reposer sur des approches axées sur les ressources et qui reconnaissent la valeur de la diversité. En se basant sur les tendances actuelles dans la pratique éducative, cet article vise à montrer de manière conceptuelle, et pour l’action pédagogique professionnelle, dans quelle mesure des lignes directrices, mais aussi de difficiles équilibres, peuvent être observés dans ce maillage et dans un contexte de fortes différenciations sociales.

Introduction

La notion de diversité évoque, en matière d’éducation des adultes et de formation continue, un maillage sémantique complexe de mots-clés tels que l’hétérogénéité, la différence, l’intégration ou l’inclusion. Ces mots-clés présentent chacun leurs propres approches conceptuelles et lignes directrices de discours dans la pratique, la politique et la science éducatives. Les phénomènes sociaux sous-jacents à ce maillage caractérisent les sociétés modernes depuis le XVIIIe siècle et imprègnent le développement historique d’offres dans les formes officielles d’éducation des adultes et de formation continue (cf. notamment Schreiber-Barsch, 2015). Ainsi, des concepts axés sur les groupes cibles et/ou les personnes participantes doivent prendre en compte, d’un point de vue pédagogique, l’acceptation d’intérêts et de besoins hétérogènes d’un public adulte. Les programmes de politique éducative dans le cadre des objectifs directeurs d’une société inclusive sont une réponse à des expériences individuelles et collectives d’inclusion, mais aussi d’exclusion. Ces expériences, qui apparaissent dans les pratiques sociales et quotidiennes avec l’attribution de caractéristiques distinctives, par exemple le handicap, ont une influence sur la participation à l’apprentissage et à la vie sociale.

L’entrelacement de diagnostics sociétaux et la pédagogisation de tels diagnostics en tant que mandat d’action confié à l’éducation des adultes et à la formation continue expliquent, d’une part, la complexité du maillage et, d’autre part, la continuité de ce mandat à l’éducation des adultes et à la formation continue. Ce mandat consiste à développer des compétences et une capacité d’action sur les plans individuel, collectif et organisationnel, et à donner un cadre pédagogique. Depuis quelques années, cet aspect est négocié en tant que compétence des personnes en matière de diversité ou de gestion organisationnelle de la diversité. Compte tenu de cette gestion, une présentation systématique du maillage sous la notion de diversité ne peut être que sommaire. Une telle présentation peut toutefois révéler de premières lignes directrices permettant de mieux attribuer des résultats empiriques ou des exemples issus de la pratique éducative, de mieux les délimiter et d’évaluer les défis qu’ils soulèvent ainsi que les potentiels qu’ils recèlent pour les champs d’action pédagogiques.

Aperçu des notions, concepts et discours

Du point de vue des sciences de l’éducation, la notion de diversité doit être comprise comme l’hétérogénéité ou la variété, qui se définit dans des caractéristiques distinctives individuelles, collectives et/ou structurelles telles que l’âge, le genre, l’appartenance à un milieu, à une couche ou à une classe, le statut socio-économique, le handicap ou la religion (Schreiber-Barsch, 2023). Deux conditions sont nécessaires pour comprendre, d’un point de vue pédagogique, des phénomènes sociaux tels que la diversité et, par conséquent, pour pouvoir organiser l’apprentissage et l’éducation: l’acceptation de la ou des différences, c’est-à-dire la prise de conscience de l’existence d’une différence, et la désignation des caractéristiques distinctives. Pour pouvoir constater des différences, des points de comparaison sont nécessaires. Or, ces derniers ne sont pas naturellement «disponibles»: ils sont «fabriqués» de manière interactive et communicative, à la fois dans le cadre des relations humaines et au sein de la société, comme le décrit Wimmer (2014): «Ce qui est différent n’est pas placé par soi-même dans un rapport différentiel; les différents termes obtiennent leur définition seulement comme résultat d’une différenciation» (ibid., p. 437). La question de savoir quel est le point de comparaison d’un état normal trouve réponse dans différents discours pédagogiques et traditions théoriques. Les différences sont donc comprises comme quelque chose de fabriqué socialement, d’acquis et/ou d’inné, et sont transposées dans des conclusions pour l’apprentissage et l’éducation: la conception selon laquelle une personne est déclarée ‹trop âgée›, ‹trop handicapée› ou ‹trop ignorante, car pauvre› pour l’apprentissage et l’éducation, se décale en fonction du contexte historique et social, de la justification scientifique et de la conception des pratiques éducatives et présente, sous quelque forme que ce soit, des conséquences considérables pour l’accès individuel et collectif à l’apprentissage et à l’éducation.

Les travaux de Mecheril et Plößer (2018) et de Walgenbach (2017; 2021) permettent une représentation systématique plus détaillée de la diversité. Leur approche ne s’arrête pas à la perception d’un état réel finalement incontournable des différences, et nivelle cet état notamment par le constat que tous les individus sont autres et tous les individus sont différents. Cette approche permet d’aborder la problématique de l’impact des caractéristiques distinctives dans et pour le travail pédagogique et de mettre en valeur des approches pour un traitement des différences qui valorise la diversité (Mecheril & Plößer, 2018, p. 284). Tandis que, dans les discours sur l’éducation et les sciences sociales, des limites différentielles sont établies entre les approches de diversité (cf. ibid. Mecheril & Plößer et Walgenbach), il est question de deux notions qui sont la diversité pour le discours en matière de science de l’éducation pour les adultes, et l’hétérogénéité, qui renvoie ici à la reconnaissance de la diversité des situations de vie. Jusqu’à présent, cette notion d’hétérogénéité a surtout été conceptualisée pour la pédagogie scolaire (de base) (cf. Walgenbach, 2021, p. 48), et cette notion ne sera donc pas traitée plus en détail ici.

Selon Mecheril et Plößer, la diversité peut être divisée en deux dimensions: l’une est analytique et empirique, et l’autre est normative et prescriptive (ibid., p. 283). La dimension analytique et empirique fait référence au constat de base énoncé plus haut, avec la structure sociale dans laquelle on peut visualiser des différences en termes d’appartenance, d’identité et de caractéristiques individuelles, collectives et/ou structurelles (cf. Walgenbach, 2017, p. 93). L’hypothèse selon laquelle ces différences ont des conséquences pour l’apprentissage et l’éducation exige un examen analytique et empirique de ces différences. La dimension normative et prescriptive définit les conséquences pertinentes, explique et interprète leurs causes et détermine les répercussions qui en découlent sur le plan pédagogique. Cette dimension peut évaluer chaque différence comme influente, de sorte que l’on peut, ou ou non, en déduire un mandat d’action pédagogique. Il s’agit ici de justifier une tâche pédagogique et de négocier une gestion pédagogique adaptée des différences, et donc de la diversité.

Ces deux dimensions imprègnent et identifient dans le même temps les lignes de la réflexion sur les sciences de l’éducation dans les théories et les discours concernant la diversité. D’après Budde (2018), ces lignes peuvent être décrites avec une triade impliquant de difficiles équilibres. Elle se compose de l’«universalité (en tant qu’exigence générale d’une éducation pour toutes et tous, indépendamment du cas particulier ou des différences sociales), de l’individualité (pour souligner la personne en tant qu’individu) et de la différence (comme schéma d’appartenance et d’ordre social)» (Budde, 2018, p. 45). On peut décrypter comme suit la manière dont ces difficiles équilibres s’imbriquent les uns dans les autres et se conditionnent mutuellement: l’exigence d’universalité de la pédagogie en tant qu’éducation pour toutes et tous se reflète de manière analytique et empirique dans l’attribution anthropologique d’une capacité d’apprentissage et d’une malléabilité propres aux êtres humains en tant que tels (Holm, 2018). Sur les plans normatif et prescriptif, cette attribution est transposée pour toutes et tous dans un droit à l’éducation, par exemple dans les droits humains, et est transmise aux actrices et acteurs/institutions de formation sous la forme d’une mission pédagogique et professionnelle avec une responsabilité publique. Les conventions relatives aux droits humains reflètent l’exigence normative et prescriptive de l’universalité et sont dans le même temps un instrument de réaction et de prévention. Cet instrument résulte de la dimension analytique et empirique du constat d’«expériences d’injustice structurelles» (Hirschberg, 2021, p. 24) subies par les individus ou les collectifs à la suite de leur catégorisation dans des schémas sociaux d’appartenance et d’ordre (différence). Dans le contexte de l’apprentissage et de l’éducation, les expériences d’injustice sont donc également une «expérience historique» (Dederich, 2020, p. 530), dans laquelle l’exigence d’inclusion de la formation, le pour toutes et tous, est un objectif âprement poursuivi au fil des siècles, et seulement partiellement réalisé à ce jour, du fait de conditions telles que le handicap et/ou le genre. Il s’avère que l’attribution des caractéristiques distinctives n’est pas sans conséquences pour l’apprentissage et l’éducation et s’inscrit dans son contexte. En revanche, des questions de répartition sociale et leur transfert dans des pratiques d’octroi et/ou de refus de reconnaissance se reflètent toujours dans l’attribution de ces caractéristiques (Dederich, 2010, pp. 30 ss). La structure interne de l’appartenance se place finalement au premier plan via le paradigme de l’individualité, tout comme le troisième élément nécessaire de la triade: le sujet d’apprentissage, à savoir la personne à qui sont destinées les activités d’apprentissage organisées, ou la personne participante. L’importance des éléments est visible dans le fait que les droits humains peuvent certes garantir la participation à des «processus sociaux et politiques» (Kunze, 2014, p. 280), mais l’expérience individuelle vécue dans les environnements d’apprentissage et d’enseignement pédagogiques peut demeurer en dehors de cela, rester contradictoire et nécessiter des négociations. Obtenir un accès aux offres d’apprentissage peut permettre une ‹présence› physique pour les personnes intéressées par l’apprentissage et cela peut être analysé de manière analytique et empirique dans des données. Toutefois, cela ne doit pas automatiquement aboutir à une reconnaissance normative et prescriptive d’un ‹droit à participer› en tant que personnes participantes considérées comme équivalentes, et à des expériences d’apprentissage positives des personnes. La pratique pédagogique et professionnelle de la reconnaissance en tant que sujet d’apprentissage reste à la fois risquée et ouverte dans le flux «Donner-Recevoir-Donner» (Boger, 2020, chap. 4).

Pour une étude multidimensionnelle de la diversité, c’est-à-dire adaptée à la complexité, il faut donc les deux éléments: à la fois la triade de la «structure narrative de base» pédagogique (Walgenbach, 2021, p. 41) et la possibilité de différenciation entre une dimension analytique et empirique d’une part, et une dimension normative et prescriptive de l’autre. L’étude multidimensionnelle évite une mise en valeur (excessive), et au final une réduction lourde de conséquences de l’approche en matière de diversité, mais elle ne peut faire totalement disparaître des dilemmes spécifiques, par exemple entre la reconnaissance de la différence et le risque de reproduction constante d’attributions de valeurs. Ainsi, une mise en valeur excessive de l’élément de la triade de l’individualisation signifierait, par rapport à la caractéristique distinctive handicap, que la pratique et le discours éducatifs risqueraient de retomber dans le modèle dit médical dans la compréhension du handicap (Barnes, 2014). En conséquence, la personne diagnostiquée comme handicapée et déficiente serait elle-même responsable d’adapter l’écart par rapport à la norme et d’adapter la ‹souffrance› à l’état normal de la société en recourant à la rééducation et à la médecine. De la même manière, le risque d’une mise en valeur exagérée de l’interprétation normative et prescriptive de la différence serait d’intégrer cette différence spécifiquement évaluée comme objet pédagogique dans les sujets et les groupes et de la (re)produire en permanence, tant sur le plan socio-structurel que biographique (Buchner et al., 2015). Pour étudier la diversité, il faut donc de la complexité dans la pratique et dans la recherche pour, selon Wansing (2014), «permettre à la fois une réflexion critique sur les modes de distinction et une analyse des inégalités sociales factuelles» (ibid., p. 209).

Signification pour l’action professionnelle

Sur le plan de l’action pédagogique, il s’agit de s’intéresser à la dynamique créée par l’attribution par la société d’une mission pédagogique et par la négociation d’une gestion pédagogique ‹appropriée› des différences et donc de la diversité, malgré les dilemmes et les difficiles équilibres en présence. La condition requise est de reconnaître la malléabilité des adultes, qui repose sur l’action professionnelle et se développe à partir de celle-ci en vue de l’apprentissage et de l’éducation.

Les approches des sciences de l’éducation en matière de diversité s’appuient sur des traditions théoriques aux multiples ramifications, qui s’inscrivent dans des dynamiques historiques contemporaines et qui sont étroitement liées aux approches interdisciplinaires des sciences sociales, et qui ont pu se développer et s’établir de manière continue depuis les années 1960 (cf. p. ex. Walgenbach, 2017, pp. 93 ss; 2021). Les concepts concernant l’inclusion ou l’exclusion sociale dans les sociétés modernes datent de cette époque et sont fondamentaux, tout comme les concepts sur la pédagogie pour les personnes étrangères, puis ceux sur l’interculturalité et l’hétérogénéité en général dans les contextes d’apprentissage et de formation, sont fondamentaux pour les discours ultérieurs sur la diversité. On constate de manière générale un changement de direction, en ce sens que la dimension analytique et empirique s’est constamment élargie (pas encore de manière définitive toutefois) au moyen des résultats de recherche. Dans le même temps, la dimension normative et prescriptive s’est décalée: les approches axées sur les lacunes pour aborder la diversité (assimilation, intégration, compensation des lacunes) ont été remplacées par une compréhension axée sur les ressources, qui valorise la diversité et prône son traitement sous un angle pédagogique (appartenances multiples, diversité sensible au pouvoir, autodétermination). Parallèlement, au niveau de la politique en matière d’éducation et des points à l’ordre du jour, on constate, en Allemagne en tout cas, une affectation du terme intégration à la catégorie origine (immigration) et une affectation du terme «inclusion» à la catégorie handicap.

On observe un dénominateur commun dans tous les concepts pédagogiques: les questions d’identité, d’appartenance (multiple), de classifications et de caractéristiques distinctives et donc des mouvements de la distinction et, par conséquent, de l’intégration ou de la non-intégration, doivent être négociées. Être/devenir intégré·e peut relever du choix de l’individu ou être décidé par d’autres. Un tel processus peut être ressenti positivement ou négativement. Il reflète l’appartenance et l’accessibilité à partir de quelque chose ou à quelque chose. Le processus peut être dichotomique (à l’intérieur – à l’extérieur) ou graduel (plus – moins) et peut être observé et analysé au niveau des personnes, des structures (p. ex. des systèmes éducatifs), des processus (inclure – exclure) et du système (avec p. ex. l’objectif d’instaurer une société inclusive/qui accepte la diversité) (Schreiber-Barsch, 2023).

Une étude du lien étroit entre les approches de la diversité sous l’angle des sciences de l’éducation permet de mettre en évidence des points communs fondamentaux. Ainsi, Walgenbach (2021) distingue deux principaux courants de diversité: d’une part, un courant qui repose résolument sur des approches de gestion de la diversité dans l’entreprise et, d’autre part, une perspective de la diversité critique du pouvoir (ibid., pp. 43-45). Il est difficile d’établir une distinction nette entre ces deux courants. En revanche, des hypothèses communes ont pu être constatées: premièrement, la référence centrale aux «différences et points communs d’appartenances et d’identités de groupe sociales» (ibid., p. 44); deuxièmement, l’accent sur les organisations de formation et cultures d’organisation au sens d’une tâche de conception à exécuter de manière systématique; troisièmement, la présentation de la diversité comme une ressource à connotation positive pour les organisations de formation et, quatrièmement, la pédagogisation de cette tâche de conception dans l’objectif d’une compétence et/ou d’une gestion de la diversité à développer (cf. ibid., p. 45). Ce dernier point signifie (au niveau normatif et prescriptif) que les «ressources des membres de l’organisation, par exemple le multilinguisme, les perspectives culturelles différentes ou le niveau d’expérience lié à l’âge […] doivent être mises à profit pour l’organisation éducative et/ou le travail éducatif» (Walgenbach, 2017, p. 93). Toutefois, pour que cela soit converti en actions professionnelles, des conditions doivent être remplies. L’acquisition de compétences en diversité qui valorisent les caractéristiques et les identités en tant que variété et ressource positive pour les organisations de formation est nécessaire et doit contribuer à une gestion positive de la diversité (ibid., p. 92).

Dans le contexte de l’action professionnelle dans l’éducation des adultes et la formation continue, une orientation méthodologique et didactique vers les intérêts, caractéristiques et besoins divers et hétérogènes des personnes participantes (orientation vers les personnes participantes) ainsi qu’une qualification du personnel pédagogique (formation continue du personnel de formation) prenant en compte le thème de la diversité sont essentielles pour un travail éducatif sensible à la diversité au niveau micro des personnes apprenantes et du personnel enseignant. Au niveau méso, l’importance de la diversité dans les programmes, contenus et thèmes est essentielle à cet effet, tout comme le sont des institutions accessibles au sens physique, socio-structurel et symbolique du terme. Au niveau macro, l’élément essentiel est le maintien de la pluralité des structures, des offres et des réglementations typiques au système d’éducation des adultes et de la formation continue (Schreiber-Barsch, 2023; cf. également p. ex. Dollhausen & Muders, 2015).

Alors qu’il existe un large consensus sur les points communs entre ces concepts pédagogiques, un regard sur la pratique, et donc sur les interprétations respectives de la diversité et sur des exemples concrets de transfert, peut mettre en évidence de manière exemplaire les défis et les potentiels d’un tel travail éducatif auprès des adultes qui soit sensible à la diversité.

Aperçu des tendances actuelles dans la pratique éducative

L’étude des tendances et des résultats actuels dans le contexte de la diversité et des personnes apprenantes adultes dans les pays germanophones permet d’identifier les références à la complexité du sujet.

Cette étude fait apparaître le dilemme dans la négociation entre la reconnaissance et le traitement particulier de caractéristiques distinctives, lorsque p. ex. Ackermann, Bannwart, Parpan-Blaser et Steiner (2021) parviennent à la conclusion, pour le secteur de la «participation numérique des personnes avec un handicap dans la formation professionnelle» en Suisse, que le soutien «ne doit pas être assujetti à la révélation d’un handicap» car il existe, selon leurs conclusions, «la crainte d’une stigmatisation pouvant dissuader d’utiliser des aides» (ibid., p. 21). L’existence d’une architecture de l’État social avec les prestations de soutien socio-juridiques qu’elle offre aux personnes ne résout donc pas nécessairement le dilemme de l’exclusion à la participation si l’aveu d’un besoin de soutien est une condition requise pour bénéficier de ce soutien, mais que cet aveu est justement redouté par les personnes concernées comme un risque de stigmatisation, auquel cas le soutien n’est pas utilisé, ce qui peut accentuer l’exclusion.

Ce point soulève la question de la responsabilité de la diversité: s’agit-il d’un mandat d’action pédagogique destiné à toutes les institutions de formation, actrices et acteurs professionnels, ou ce thème relève-t-il surtout de la compétence de certaines institutions de formation et d’un certain personnel pédagogique? En Suisse, Ledergerber et Dietziker (2019) critiquent le fait que, par rapport à la caractéristique distinctive qu’est le handicap (adultes avec un handicap cognitif), les offres destinées à ce public soient presque exclusivement mises à disposition et effectuées par des organisations spécialisées dans l’aide aux personnes handicapées, alors que les bases juridiques permettant la participation de personnes avec un handicap cognitif à l’éducation publique des adultes et à la formation continue existent depuis longtemps (ibid.). Un tel déséquilibre persiste aussi en Allemagne. Ledergerber et Dietziker plaident pour un changement de système afin que l’idée d’inclusion soit effectivement prise en compte. Toujours à partir d’une perspective suisse et concernant le même aspect du handicap, avec des offres de «cours pour un apprentissage simplifié» à l’intention des personnes apprenantes adultes, Heinzmann (2023) souhaite une «transformation des offres existantes» (ibid., p. 49) plutôt que de nouveaux types d’établissements éducatifs. Heinzmann souligne par ailleurs l’importance d’un solide réseau de partenaires de coopération dans l’espace social, qui constitue un «facteur de réussite pour cette voie inclusive» (ibid.).

Un regard sur les institutions de formation et les personnes qui y exercent des tâches professionnelles en tant qu’élément central des approches de la diversité soulève la question de la promotion des compétences en matière de diversité. Egger et Härtel (2021) posent cette question dans un recueil intitulé «Bildung für alle? Für ein offenes und chancengerechtes, effizientes und kooperatives System des lebenslangen Lernens in Österreich» (Éducation pour toutes et tous? Pour un système d’apprentissage tout au long de la vie coopératif, ouvert et garantissant l’égalité des chances en Autriche). Pour le secteur universitaire, la Haute école spécialisée de Haute-Autriche a élaboré le concept HEAD-Wheel avec pour ligne directrice une meilleure prise de conscience de la diversité par l’éducation (Higher Education Awareness for Diversity). Au sein des organisations, ce concept doit aider à mettre en lumière les possibles caractéristiques distinctives des membres, à les reconnaître et à les valoriser. Ce concept vise également à promouvoir, chez les membres de l’organisation, des compétences en matière de diversité et en faire un élément à part entière du développement de l’organisation afin d’encourager une «culture globale de la diversité» (https://www.fh-ooe.at/gender-diversity/wissenschaftlicher-hintergrund/). Pour cela, cinq segments de diversité sont identifiés: la diversité démographique, cognitive, technique, fonctionnelle et institutionnelle (Gaisch & Aichinger, 2016). Dans le contexte universitaire allemand, Goldbach et Leonhardt (2023) doutent qu’un enseignement universitaire participatif puisse contribuer à un tel objectif. Ils font remarquer qu’une accessibilité structurelle aux universités ne supprime pas nécessairement les structures, cultures et pratiques discriminatoires ou de pouvoir, ni ne remet en question les rôles traditionnels (quelles personnes sont «pensées» comme enseignantes, lesquelles comme apprenantes?)

Par conséquent, Walgenbach (2017) souligne le difficile équilibre d’une gestion de la diversité entre «anti-discrimination et hausse du profit» (ibid., p. 98). Cet équilibre à trouver est abordé dans une récente étude suisse intitulée «Diversity and Inclusion Management» (Gurtner, 2022). La gestion de la diversité et de l’inclusion représente «la gestion stratégique de la diversité et de l’hétérogénéité des collaboratrices et collaborateurs», et cette gestion est «reconnue comme étant un avantage concurrentiel sur le marché du travail» (ibid., p. 3). L’étude dresse par ailleurs le constat suivant: «tandis qu’environ deux tiers des entreprises et organisations interrogées ont développé un concept global coordonné, d’autres viennent tout juste d’entamer ce processus ou jugent que l’inclusion est implicitement ancrée dans leur culture d’entreprise» (ibid.). Néanmoins, faire l’impasse d’une réflexion sur la diversité n’est pas perçue comme une solution: «Ne faire aucune différence entre les groupes présente un risque, celui de ne pas attribuer des désavantages ou des besoins à des groupes ou des individus précis.» (ibid.)

Ce difficile équilibre se manifeste également sur le plan de la qualification du personnel pédagogique au sens d’une compétence en matière de diversité, qui doit être considérée davantage comme une tâche transversale que comme une qualification particulière. Reiter, Humt et Öztürk (2021) font à nouveau référence à la conclusion hâtive, ici dans le contexte de l’intégration et de l’immigration, selon laquelle il faut nécessairement recourir à un personnel avec des expériences migratoires lorsque l’on recherche des «expertes et experts interculturels», tandis que les «formations pour développer des compétences professionnelles sont exclusivement destinées aux membres de la population majoritaire, qui n’a pas d’histoire migratoire» (ibid., p. 07-5). De telles formations pour développer les compétences doivent être «conçues d’une manière réfléchie, qui prend en compte ses propres différences» (ibid., ibid.) pour déclencher un mouvement de réflexion réellement basé sur le dialogue et non unilatéral pour l’action professionnelle. De plus, selon Homann und Bruhn (2020), «le fait d’être soi-même concerné·e» n’est pas une «qualification» impérative et indiscutable (ibid., p. 83), qui étiquetterait de manière forte, sans questionnement et sans preuve, les personnes ayant certaines caractéristiques distinctives comme étant des expertes et des experts (au sens d’une compétence correspondante existante).

Conclusion

Pour résumer, on peut approuver le propos de Wimmer (2014), selon lequel les caractéristiques d’hétérogénéité, en tant que dynamique de base de la diversité, sont importantes: «elles ne représentent pas rien, mais on ne peut pas réduire l’autre à ces caractéristiques. Certes, l’autre n’existe pas sans ces caractéristiques, mais elle/il n’apparaît pas sous cette forme» (ibid., p. 437). Sur le plan de la diversité, cela fait référence à l’appel à l’éducation des adultes et à la formation continue, selon lequel une «réponse professionnelle […] ne peut résider dans le fait illusoire de se soustraire aux pratiques permanentes de distinction» (Schäffter, 2013, p. 59). Un tel appel rend nécessaire une «gestion responsable et critique de l’ordre des différences» (ibid.), ce qui plaide en faveur d’une rationalité comme perspective directrice (Schreiber-Barsch & Curdt, 2023) d’une éducation des adultes et de la formation continue ainsi perçue. Cela ne signifie pas un nivellement dans le terme générique de diversité et, selon Katzenbach (2015), une réduction à une production de connaissances technologiques et sociales pour la gestion pédagogique de la diversité. Au contraire, les approches doivent être en mesure «de reconstituer et d’analyser de manière appropriée les processus sociaux, les conflits et les contradictions» (ibid., p. 23) afin que les ordres de différences soient transparents et donc négociables.

Bibliographie

Ackermann, S., Bannwart, J., Parpan-Blaser, A. & Steiner, O. (2022): Digitale Teilhabe von Menschen mit Behinderungen. Erfahrungen aus der Weiterbildung. Schweizerische Zeitschrift für Heilpädagogik (28), 1–2, 15-22.

Barnes, C. (2014): Understanding the social model of disability. Past, present and future. In N. Watson, A. Roulstone, & S. Thomas (Eds.). Routledge handbook of disability studies. New York: Routledge, 12–29.

Boger, M.-A. (2020): Wen als was anerkennen? Zum Verhältnis zwischen Anerkennungstheorie und Theorie der trilemmatischen Inklusion. Zeitschrift für Inklusion, (1). Tiré de https://www.inklusion-online.net/index.php/inklusion-online/article/view/553

Buchner, T., Pfahl, L., & Traue, B. (2015): Zur Kritik der Fähigkeiten: Ableism als neue Forschungsperspektive der Disability Studies und ihrer Partner_innen. Zeitschrift Für Inklusion, (2), https://www.inklusion-online.net/index.php/inklusion-online/article/view/273

Budde, J. (2018): Erziehungswissenschaftliche Perspektiven auf Inklusion und Intersektionalität. Dans: T. Sturm & M. Wagner-Willi (Eds.): Handbuch schulische Inklusion. Opladen, Toronto: Verlag Barbara Budrich, pp. 45-59.

Dederich, M. (2020): Inklusion. Dans: G. Weiss & J. Zirfas (Eds.): Handbuch Bildungs- und Erziehungsphilosophie. Wiesbaden: Springer VS, pp. 526–536.

Dederich, M. (2010): Behinderung als sozial- und kulturwissenschaftliche Kategorie. Dans: M. Dederich & W. Jantzen, W. (Eds.): Behinderung und Anerkennung. Stuttgart: Kohlhammer, pp. 15-39.

Dollhausen, K. & Muders, S. (Eds.). (2015): Diversität und Lebenslanges Lernen. Aufgaben für die organisierte Weiterbildung (Reihe Erwachsenenbildung und lebensbegleitendes Lernen - Forschung & Praxis, Bd. 26). Bielefeld: wbv Publikation.

Egger, R., & Härtel, P. (2021): Bildung für alle? Für ein offenes und chancengerechtes, effizientes und kooperatives System des lebenslangen Lernens in Österreich. Wiesbaden: Springer VS.

Gaisch, M. & Aichinger, R. (2016): Das Diversity Wheel der FH OÖ: Wie die Umsetzung einer ganzheitlichen Diversitätskultur an der Fachhochschule gelingen kann - 10. Forschungsforum der Österreichischen Fachhochschulen, Wien, Österreich, 2016.

Goldbach, A., & Leonhardt, N. (2023): Kritische Auseinandersetzung mit partizipativer Hochschullehre. Teilhabe (62), 4, 142-147.

Gurtner, A. (2022): Diversity and Inclusion Management in der Schweiz 2022. Eine empirische Studie unter spezieller Berücksichtigung der Dimension sexuelle Orientierung, Geschlechtsidentität und Variationen der Geschlechtsentwicklung (LGBTIQ+). Bern: Berner Fachhochschule. https://arbor.bfh.ch/18128/1/Scheidegger%2C%20Gurtner%202022_D-I-Management_Studie-2022_BFH%20Wirtschaft.pdf

Heinzmann, A. (2023): Erwachsenenbildungskurse zugänglich machen. Vom Pilotprojekt zum etablierten Angebot. Schweizerische Zeitschrift für Heilpädagogik (29), 5, 49-54.

Hirschberg, M. (2021): Barrieren als gesellschaftliche Hindernisse – Sozialwissen­schaftliche Überlegungen. In: M. Schäfers & F. Welti (Eds.): Barrierefreiheit – Zugänglichkeit – Universelles Design. Zur Gestaltung teilhabeförderlicher Umwelten. Bad Heilbrunn: Klinkhardt, pp. 23–35.

Holm, U. (2018): Anthropologische Voraussetzungen des Lernens Erwachsener – Lernfähigkeit als Grundlage der Erwachsenenbildung. Dans: R. Tippel & A. von Hippel (Eds.), Handbuch Erwachsenenbildung/ Weiterbildung, 6. überarb. und erw. Aufl. Wiesbaden: Springer VS, pp. 109-125.

Homann, J., & Bruhn, L. (2020): Wer spricht denn da? Kritische Anmerkungen zum Konzept der Selbstbetroffenheit. Dans: D. Brehme, P. Fuchs, S. Köbsell & C. Wesselmann (Eds.): Disability Studies im deutschsprachigen Raum. Zwischen Emanzipation und Vereinnahmung. Weinheim, Basel: Beltz Juventa, 82–88.

Katzenbach, D. (2015): Zu den Theoriefundamenten der Inklusion – Eine Einladung zum Diskurs aus der Perspektive der kritischen Theorie. Dans: I. Schnell (Eds.). Herausforderung Inklusion. Theoriebildung und Praxis. Bad Heilbrunn. Klinkhardt, 19-32.

Kunze, A.B. (2014): Kulturelle und soziale Partizipation durch ein lebenslanges Recht auf Bildung. Bildung und Erziehung, 67(3), 265–82. https://doi.org/10.7788/bue-2014- 0303

Ledergerber, B., & Dietziker, J. (2019): Erwachsenenbildung für Menschen mit kognitiver Behinderung: Ein Plädoyer für mehr Inklusion. Schweizerische Zeitschrift für Heilpädagogik, 25(5-6), 38–45. Tiré de https://ojs.szh.ch/zeitschrift/article/view/802

Mecheril, P. & Plößer, M. (2018): Diversity und soziale Arbeit. Dans: H.-U. Otto & H. Thiersch (Eds.): Handbuch Soziale Arbeit. 6. Aufl. München: Reinhardt, pp. 283-292.

Reiter, S., Humt, E., & Öztürk, H. (2021): Berufliche Weiterbildung im Zuge von Migration, Internationalisierung und Globalisierung. Impulse für eine diversitätsorientierte Weiterbildung - Dans: Magazin erwachsenenbildung.at (2021) 42, 12 S.

Schäffter, O. (2013): Inklusion und Exklusion aus relationaler Sicht – eine grundlagentheoretische Auseinandersetzung mit gesellschaftlichen Inklusionsprozessen. Dans: R. Burtscher, E. J. Ditschek, K.-E. Ackermann, M. Kil & M. Kronauer (Eds.). Zugänge zu Inklusion. Erwachsenenbildung, Behindertenpädagogik und Soziologie im Dialog. Bielefeld: W. Bertelsmann, 53–64.

Schreiber-Barsch, S. (2023): Inklusion – Diversität. Dans: R. Arnold, E.Nuissl & J. Schrader (Eds.). Wörterbuch Erwachsenen -und Weiterbildung (3., vollst. überarb. Aufl.). Bad Heilbrunn: Verlag Julius Klinkhardt. https://doi.org/10.35468/wbeb2022-139[CC-LizenzBY-NC-ND]

Schreiber-Barsch, S. (2015): Teilhabe, Inklusion, Partizipation. Dans: J. Dinkelaker & A. von Hippel (Eds.). Erwachsenenbildung in Grundbegriffen. Stuttgart: Kohlhammer, 191–198.

Schreiber-Barsch, S., & Curdt, W. (2023): Zur Diskussion von Relationalität als Leitperspektive: Überlegungen zu Erwachsenenbildung und Inklusion. Dans: M. Ebner von Eschenbach, C. Alexander, M. Schulze & F. Schaller (Eds.): Erwachsenenpädagogische Theoriebildung im Horizont gesellschaftlicher Transformationsprozesse. Relektüren zum Œuvre Ortfried Schäffters. Baltmannsweiler: Schneider Verl. Hohengehren, pp. 339-354.

Schreiber-Barsch, S. & Fawcett, E. (2019): Semantiken von Inklusion: Be­nennungspraktiken an Volkshochschulen unter der Agenda inklusiver Erwachsenenbildung. Hessische Blätter für Erwachsenenbildung, 69(1), 18-30.

Walgenbach, K. (2021): Erziehungswissenschaftliche Perspektiven auf Vielfalt, Heterogenität, Diversity/Diversität, Intersektionalität. Dans: I. Hedderich, J. Reppin & C. Butschi (Eds.). Perspektiven auf Vielfalt in der frühen Kindheit. Mit Kindern Diversität erforschen. 2. Aufl. Bad Heilbrunn: Verlag Julius Klinkhardt, pp. 41-59.

Walgenbach, K. (2017): Heterogenität - Intersektionalität - Diversity in der Erziehungswissenschaft. 2. Aufl. utb.

Wansing, G. (2014): Konstruktion - Anerkennung - Problematisierung: Ambivalenzen der Kategorie Behinderung im Kontext von Inklusion und Diversität. Soziale Probleme, 25(2), 209-230.

Wimmer, M. (2014): Pädagogik als Wissenschaft des Unmöglichen. Bildungsphilosophische Interventionen. Paderborn: Ferdinand Schöningh.