Connaître les besoins des adultes en formation de base: entre marketing et dialogue.
La notion de «besoins» est souvent liée à la question de l’offre et de la demande. Ce langage nous vient directement du marché économique, mais la formation continue n’est pas une marchandise comme une autre.
La situation pour des publics de la formation de base demeure paradoxale face à la formation continue: injonctions à se former tout au long de la vie, difficultés d’accès à des formations appropriées, systèmes d’insertion exigeant leur participation à la formation continue, difficultés de reconnaissance et de validation des apprentissages informels ou non formels. Entendre la voix des personnes concernées afin de comprendre leurs vrais besoins nécessite l’ouverture de dialogue et d’écoute de la part des autorités responsables pour le financement et la définition des objectifs.
Prendre ses responsabilités
La question des besoins préoccupe les prestataires de cours de formation de base, les financeurs, les décideurs politiques depuis un certain temps: comment connaître les besoins d’adultes que nous consultons peu ou pas du tout? Dans le scénario le plus simple, on demanderait aux personnes concernées: «De quoi avez-vous besoin?» Mais à qui demander, quand, comment? Faut-il demander aux personnes qui sont déjà en train de participer à des actions de formation, qui fréquentent des cours, semaine après semaine? Ou à des personnes qui ne viennent pas, qui sont «invisibles», que l’on imagine, que l’on se représente d’après des profils, des catégories sociales, mais qui restent quasi inatteignables? Selon Vinérier (2010), des 3 millions d’adultes en situation d’illettrisme en France, seuls 1% et 2% franchissent la porte d’un organisme de formation. Pourquoi?
En Suisse, selon la Fédération suisse Lire et Écrire, une personne sur six entre 16 et 65 ans ne dispose pas de compétences suffisantes en lecture et en écriture pour être autonome dans sa vie professionnelle et privée (données de l’Office fédéral de la statistique à partir de l’enquête comparative internationale ALL, pilotée en 2003 par l’OCDE). Cela représente 16% de la population adulte, soit environ 800 000 personnes. Il s’agit non seulement d’étrangers allophones, mais également de personnes scolarisées en Suisse dans leur langue maternelle. Ce sont, donc, deux types de public distincts: des étrangers·ères allophones en quête d’apprentissage de la langue locale mais aussi des personnes francophones (en ce qui concerne la Suisse romande) qui seraient en «situation d’illettrisme».
Ces chiffres sont problématiques pour deux raisons principales. Premièrement, l’étude ALL est vieille de presque vingt ans et nous ne disposons pas de données plus récentes, la Suisse ayant refusé de participer à l’étude suivante de l’OCDE, PIAAC. «Deuxièmement, l’existence d’une forme ‘normée’ ou ‘standard’ de la littératie, un ensemble ‘autonome’ de compétences et de connaissance, est fortement contestée par des scientifiques et chercheurs dans le domaine de la littératie, surtout celles et ceux issu.e.s des New Literacy Studies: Gee (1990), Street (1984), Barton (2007), Barton & Hamilton (2000), Atkinson (2009).»
Les prestataires de cours de langues pour personnes issues de l’immigration n’ont pas eu besoin de trop s’inquiéter des besoins de leurs participant·e·s et doivent plutôt s’affairer à la gestion de listes d’attentes. La pression sur les «migrant·e·s» de se conformer aux exigences du régime migratoire en place peut jeter un flou sur les réelles motivations ou les «besoins» des personnes concernées. Vouloir apprendre la langue du pays d’accueil semble être une banalité et il serait absurde de prétendre que ce n’est pas une «bonne chose». Ce qui pose problème, par contre, est l’instrumentalisation de la question de l’acquisition de la langue locale par un narratif politique, qui semble raconter que la rapidité de l’apprentissage d’une langue est un gage de bonne volonté de s’intégrer. Nous viendrons à la question du «court-termisme» un peu plus loin.
Le problème se pose un peu différemment dans le domaine de la littératie/numératie. La demande des personnes censées avoir des besoins dans ces domaines est faible, ce qui a poussé les autorités, en Suisse, à organiser des campagnes de «marketing des compétences de base». Une campagne de marketing est précédée d’une étude de marché afin d’en dégager des besoins des consommateurs potentiels. Mais dans quelles conditions est-il possible de répondre à la question: pourquoi voudriez-vous venir/ne pas venir en formation continue2 et qu’est-ce que vous cherchez à faire, à acquérir… à devenir?
La Loi fédérale sur la formation continue, LFCo (2014), établit un principe significatif dans la législation de la Suisse: la formation continue relève de la responsabilité individuelle. La responsabilité individuelle se veut le revers de la médaille de la liberté individuelle. Mais la question de la responsabilité individuelle est en tension avec le social, le sociétal, les responsabilités collectives. La frilosité des autorités ou des entreprises de prendre leurs responsabilités en termes de financement de la formation continue de leurs employés, par exemple, est une décision politique qui reflète bien l’attachement au marché libre. L’insistance sur l’individu, comme sa prise de responsabilités face aux demandes de l’économie, rappelle ce qu’a dit Zygmunt Bauman (2013, p. 198):
«… se responsabiliser nécessite d’acquérir non seulement les compétences nécessaires pour participer avec succès à un jeu conçu par d’autres, mais aussi les pouvoirs pour influencer les objectifs, les enjeux et les règles du jeu; pas seulement les compétences personnelles, mais aussi les pouvoirs sociaux.»
La LFCo stipule également que: «Les compétences de base des adultes sont les conditions requises pour l’apprentissage tout au long de la vie…». Mais le projet même du Lifelong Learning ne fait pas l’unanimité. Field (2000) demande si l’apprentissage tout au long de la vie ne marque pas un tournant décisif dans la façon dont les gens et les organisations définissent et gèrent leur apprentissage. Apprendre tout au long de la vie est, d’une part, une banalité – apprendre, c’est ce que chaque humain fait tous les jours – et, d’autre part, un projet de la société globalisée. Selon Angel Gurría, ancien secrétaire général de l’OCDE: «Les perspectives de l’OCDE sur les compétences nous montrent où nous sommes, où nous devons aller et comment y parvenir si nous souhaitons être des citoyens pleinement engagés dans une économie mondialisée.» (Gurría 2013, p. 3). Le ton est donné par la même organisation qui coordonne les études internationales comparatives sur les compétences de base – notamment sur la littératie – depuis le début des années 1990.
Si nous regardons l’offre actuelle de cours en formation de base en Suisse romande et la manière dont elle est mise à disposition des publics «cibles», nous pourrions reconnaître un fonctionnement qui n’est pas très éloigné de celui du marché économique libre. Des prestations sont vendues et achetées, selon les prescriptions des financeurs publics, sur un marché qui est régi par des lois, des priorités politiques, des régimes d’insertion ou de migration. L’éducation est devenue une marchandise. Il faut trouver des consommateurs.
Si une partie du vocabulaire habituellement utilisé pour parler de la formation tout au long de la vie nous vient du vocabulaire du libéralisme «démocratique» ou «social», un deuxième ensemble de concepts a été importé du monde financier et économique. Publics cibles, efficacité, efficience, prestations, marketing… C’est le langage d’une nouvelle réalité basée sur un narratif unique, qui veut que le marché soit le seul à décider. Mais nous savons qu’il existe des alternatives, que les narratifs sociaux et culturels sont pluriels et divers et ne sont pas forcément toujours convergents.
Un discours politique qui ne dit pas son nom
Selon Martin (2003, p. 567), nous nous trompons si nous parlons de l’apprentissage tout au long de la vie en termes d’éducation plutôt qu’en termes de discours politique. «Le consensus actuel en politique de Lifelong Learning existe précisément parce qu’il est politiquement opportun.»2 Comme nous venons de le suggérer, il convertit des problèmes économiques à long terme en projets éducatifs à court terme. Dans ce sens, en plus de théories plus réflexives dans le domaine de l’apprentissage tout au long de la vie, nous avons peut-être besoin d’être plus réflexifs en ce qui concerne notre propre compréhension de, et notre collusion dans, les processus politiques et idéologiques qui contribuent à la construction de la formation tout au long de la vie comme substitut pour une vraie politique de formation continue.
Stiegler (2010, p. 1) fait écho à cette même crainte en parlant du «détournement systématique du désir vers les marchandises – organisé par le marketing… et la soumission totale de la vie de l’esprit aux impératifs de l’économie de marché». Ce détournement a conduit, selon Stiegler, «à une crise économique mondiale sans précédent, au cours de laquelle le système présent du capitalisme se révélerait être structurellement autodestructeur».
Cette crise du capitalisme, qui est devenue aussi une crise de la démocratie libérale selon Stiegler, mène à «la ruine de l’investissement sous toutes ses formes – et en particulier sous les formes de l’investissement économique, politique et social» (ibid). Ce désinvestissement est la conséquence du court-termisme néolibéral, qui propose des solutions simplistes et à court terme à des problèmes structuraux qui durent depuis des décennies et qui nous demandent d’entrer dans cette complexité, d’observer, d’écouter, de dialoguer.
En dépit de son engagement en faveur de la diversité des objectifs de l’apprentissage tout au long de la vie, la politique continue de se concentrer presque exclusivement sur l’apprentissage pour la compétitivité économique. Bien qu’il n’y ait pas de preuves claires des liens entre la réussite scolaire et la prospérité économique, la peur de la mondialisation et de l’avenir en général a donné lieu à un consensus qui part du principe que l’éducation, selon l’ancien premier ministre britannique, Tony Blair (1995, p. 4), «est la meilleure politique économique que nous puissions avoir».
L’introduction du régime de contrats de prestations pour réguler le «marché» de la formation de base pendant la première décennie de ce siècle a marqué la fin des relations de confiance entre financeurs et prestataires. L’achat et la vente de «prestations» ont remplacé le financement de programmes de formation conçus par des institutions en proximité avec leurs participant·e·s et qui connaissent leurs besoins. Le manque de dispositifs d’évaluation de la part des associations a certainement contribué à cette rupture, mais également l’absence d’indicateurs d’évaluation communs entre financeurs et prestataires. La pression de mettre en place des labels de «qualité» et une tendance générale d’adopter des instruments de contrôle du marché libre, y compris son langage, ont été des facteurs significatifs.
Cette méfiance conduit inévitablement à une réduction des espaces d’innovation, de créativité et de prise de risque. Le problème est aggravé par une logique circulaire de clarification et de réglementation. Il est donc difficile de concilier les engagements pris envers l’autonomie et la motivation des apprenant·e·s, si présents dans les discours sur la formation continue, lorsque l’évaluation les limite de plus en plus à des résultats prédéfinis qui encouragent des formes circonscrites d’autonomie procédurale. Les organismes de formation ont la pression de devoir opérer sur un marché de la formation dans lequel la connaissance devient une marchandise alors que les institutions et les associations, qui ont longtemps fonctionné selon un modèle fondé sur des domaines de compétences reconnus et la complémentarité, entretiennent des relations de concurrence plutôt que de coopération ou de collaboration les unes avec les autres.
Marketing des normes
La mise en garde contre ce glissement vers le marché libre ne date pas d’hier. Illich (1972) a parlé des dangers de la commodification (marchandisation) de l’éducation et Freire (1970) a décrié une éducation «domesticatrice» et mortifère qui va à l’encontre de l’autonomie et de la liberté individuelle et collective.
Williams (2000), rapporteur de la Conférence européenne sur les politiques innovatrices dans les villes organisée par le Conseil de l’Europe, a fait remarquer que: «Le vocabulaire des demandes de financement ou des évaluations est de plus en plus celui de la communauté financière… Les apports, les résultats et la stratégie sont les termes par lesquels nous essayons de définir les besoins, les cibles, les ressources et les solutions.» Même si l’on pouvait admettre que cette adoption des méthodes de l’entreprise dans le travail comporte de nombreux avantages en termes d’efficacité, d’organisation et d’efficience, elle rappelle que le travail social, dans le sens large, n’est pas un «business» et que nous ne fabriquons pas des gadgets sur une chaîne de production. Il y a des limites à ce que nous pouvons reproduire et «il faut que notre travail reste centré sur des personnes». Ce centrage sur les personnes demande le développement de concepts et de méthodes qui restent axés sur les publics, tout en permettant de prendre en considération les réalités des impératifs financiers et politiques qui conditionnent la vie sociale et économique.
Dans les questions ci-dessus, plusieurs problématiques surgissent. La question des besoins et de qui est à même de les identifier, si ce n’est pas les personnes elles-mêmes qui les perçoivent, qui les expriment, qui les «articulent». La question de la temporalité contenue dans le terme «tout au long de la vie»; la confrontation de temporalité longue – d’une vie – et la temporalité courte des réponses fournies en termes de formation. Le modèle managérial et commercialisé de l’éducation a donc été construit à l’image du secteur même dont les problèmes manifestes sont aujourd’hui évidents pour tous. Il serait peut-être opportun d’ouvrir le débat sur la façon dont ce modèle a influencé les processus éducatifs. Au cœur de la conceptualisation de Freire, sur la manière dont l’éducation doit être différente, se trouve la distinction qu’il a faite entre l’éducation «bancaire» et l’éducation de «résolution de problèmes».
L’éducation bancaire implique un sujet narrateur (l’enseignant·e) et de patients objets d’écoute (les étudiant·e·s). Sa tâche est de «remplir» les élèves avec le contenu de sa narration – un contenu détaché de la réalité, et vide de sens pour les participant·e·s.
L’éducation fondée sur la résolution de problèmes de la vie de tous les jours consiste en des actes de cognition et non en des transferts d’information. Par le dialogue, les formateurs·trices ne sont pas celles et ceux qui enseignent, mais qui entrent dans une relation de co-construction, de partage et de socialisation des connaissances et des compétences. Le savoir «légitime» devient l’objet de discussion, de négociation.
En Suisse, la Confédération a soutenu des campagnes de marketing des compétences de base, avec un pitch, des stratégies, des slogans, des images, des spots, du merchandising. Les besoins de la clientèle potentielle sont apparemment connus, leurs lacunes également:
Souvent, les personnes concernées cherchent des échappatoires pour réussir à masquer leur manque de connaissances de base. Elles cachent leurs problèmes, se font aider par les autres et réussissent ainsi à s’en sortir. Mais ce n’est pas une solution. La campagne reprend donc les échappatoires des personnes concernées afin de les inciter à cesser de jouer à cache-cache. Le message: les échappatoires, c’est terminé! Tout le monde peut apprendre à lire.3
Les effets de ce genre d’approche sont catastrophiques en termes de stigmatisation, de culpabilité et de non-identification par les publics «cibles». Cette «tyrannie de la littératie» a été dénoncée par Atkinson (2009) qui soutient que les études de l’OCDE (IALS et suivants) ont été conçues spécifiquement pour affirmer un ensemble de normes qui, à la fois, consacrent la littératie comme une capacité particulière que les gens sont censés posséder et justifient le déséquilibre mondial des ressources et du développement.
Cette approche conceptuelle dominante contribue à renforcer un système de formation qui vise essentiellement à aider les personnes, surtout les individus marginalisés, à s’adapter et à survivre dans une société qui ne les valorise guère, plutôt que de changer les structures qui les oppriment. Selon Castra (2003) elle induit une croyance (norme) selon laquelle les conduites des individus résultent de leurs représentations, de leurs idées, de leurs vertus, de leurs intentions… de leur personnalité. Pour Castra, cette internalité représente une stratégie de «contrôle et de domination».
Barton & Hamilton (2000) mettent en garde contre cette tendance à fixer des standards de littératie qui répondent plutôt aux besoins de l’économie qu’aux réels besoins exprimés par les adultes eux-mêmes. Or, selon Barton & Hamilton l’enquête de l’OCDE est défaillante à trois niveaux:
- elle dresse un tableau incomplet des capacités de lecture et d’écriture;
- les facteurs culturels y sont considérés comme des écarts;
- les unités du test ne reflètent pas les détails de la vie quotidienne, comme revendiqué par les concepteurs.
La littératie est plutôt un ensemble de pratiques sociales (Barton & Hamilton 2000) en lien avec la confrontation avec l’existence de l’écrit dans l’espace public, au travail, à la maison. Les adultes développent des réseaux de soutien et d’entraide qui sont de l’ordre de l’interdépendance, une dimension essentielle de l’autonomie. Notre liberté et notre capacité de prendre des responsabilités sont conditionnées par les libertés et les prises de responsabilités des autres. Nous vivons en société!
Dialoguer plutôt que projeter
Donc, en fonction de ce qui est dit plus haut, comment identifier les vrais besoins des apprenant·e·s potentiel·s des cours de formation de base. La recherche auprès des personnes concernées peut ébaucher des pistes menant à des actions concrètes. Voici trois exemples.
Petersen et Heidegger (2012), dans le cadre d’une recherche menée à l’Université de Flensburg, ont mis sur pied des ateliers pour adultes engagés en formation de base dans l’objectif d’ouvrir un dialogue sur leurs motivations et leurs objectifs. Plusieurs objectifs généraux ont pu être formulés par ces mêmes adultes:
- (Auto-)évaluation et (auto-)reconnaissance de leurs connaissances et compétences personnelles.
- Amélioration et élargissement de leurs chances de trouver une insertion professionnelle.
- Ouverture des champs d’activité en dehors du champ professionnel (culturels, sociaux, etc.).
- Contribution à leur émancipation, à leur épanouissement personnel, à leur capacité de participer activement à la vie démocratique, de développer leur capacité d’agir (agentivité).
Dans sa recherche-action menée en 2010, Anne Vinérier, quant à elle, s’est intéressée aux 98% des personnes en situation d’illettrisme en France qui ne fréquentent jamais les cours. Avant de commencer, Vinérier a établi des principes de recherche, inspirés par la philosophie de l’éducation populaire:
- Les personnes concernées par une question de recherche sont en mesure de réfléchir, individuellement et collectivement, et de chercher des stratégies, de confronter leur pensée pour trouver des solutions.
- Les chercheurs·chercheuses travaillent avec les personnes et non pas sur ou à la place des autres.
- Chacun·e a la capacité de participer à la transformation de la société et les personnes peuvent se retrouver ensemble pour agir dans la solidarité et non dans la compétition.
Pour les trente personnes interviewées, les deux raisons principales citées pour ne pas s’inscrire à un cours étaient des sentiments négatifs vis-à-vis de soi-même et des autres et une expérience passée d’un apprentissage difficile. Ces mêmes personnes se sont également exprimées sur les facteurs (leviers) qui pourraient favoriser leur entrée en formation:
- Rencontrer d’autres apprenant·e·s déjà en formation.
- Aller voir, écouter, assister, essayer…
- Être accompagné la première fois.
- Être entendu dans l’expression de leurs besoins (pédagogie et contenu).
Les principes de dialogue et d’écoute adoptés par Vinérier ont permis l’émergence d’une parole, d’une voix authentique appartenant pleinement aux personnes concernées.
Dans la même veine, Communities Scotland, l’agence nationale écossaise pour la formation de base, a développé un outil d’identification d’objectifs et de besoins d’apprentissage et également de planification de parcours d’apprentissage dans son curriculum cadre. Ce programme met l’accent sur des processus entrepris par les apprenant·e·s et formateurs·trices pour déterminer, planifier, exécuter et analyser des programmes d’apprentissage.
Les trois principes qui sous-tendent ce programme cadre sont: la promotion de l’autonomie, dans le sens d’aider les apprenant·e·s à choisir en connaissance de cause leurs contenus et méthodes d’apprentissage et en assumer la responsabilité; générer une compréhension de la chose écrite, ce qui signifie aborder tous types d’écrits, pouvoir arriver au décodage de la communication et développer le sens critique; reconnaître et respecter les différences et la diversité, à savoir, tenir compte des utilisations de l’écrit et du calcul privilégiées par les adultes, ainsi que de leurs valeurs et de leurs réalités.
Comme le dit Charlet (1998, p. 116-117), un adulte est prêt à s’engager intentionnellement en formation seulement si son «désir» est «… instrumenté par un projet propre, c’est-à-dire un projet non induit directement par l’instance qui l’a reçu». Cela suppose un degré de liberté et de responsabilité ainsi qu’une capacité de discernement et la possibilité d’articuler une appréciation de ses propres besoins, dans sa situation actuelle. De même, selon Castra (2003), un adulte ne s’engagera en formation que «s’il peut en concevoir concrètement les effets bénéfiques sur sa situation présente». S’engager en formation implique pas seulement d’acquérir de nouveaux savoirs ou de se «remettre à niveau»; c’est aussi une quête d’identité sociale, une recherche de connaissances mais également de reconnaissance. Sommes-nous d’accord d’admettre que la personne – migrante, en situation d’illettrisme ou d’échec scolaire - est capable de réfléchir à son propre parcours, à sa propre situation, de croire qu’un changement, une transformation et une évolution de sa situation sont possibles, malgré un contexte sociopolitique et économique peu encourageant? Si oui, il est indispensable d’instaurer un véritable dialogue avec les personnes concernées directement par les programmes de formation continue. La diversité de leurs expériences et de leurs besoins continuera à nous échapper si nous nous contentons de projeter sur eux nos propres conceptions de leurs besoins.
- Dans cet article, j’entends «formation continue» dans le contexte de ce que l’on appelle communément les «compétences de base».
- Les traductions de l’anglais en français sont de l’auteur.
- Concept de base pour la campagne «Simplement mieux». IKW CIFC | Schweizer Dachverband Lesen und Schreiben Fédération suisse Lire et Écrire | cR Kommunikation AG | 26.8.2016.
Références
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Atkinson, T. (2009): Commodifying literacy, justifying inequality: timely relations in the International Adult Literacy Survey (IALS). Paper presented at the 39th Annual SCUTREA Conference, 7-9 July 2009, University of Cambridge.
Barton, D. & Hamilton, M. (2000): The international adult literacy survey: what does it really measure? Revue internationale de l’éducation 46(5): 377-389, 2000.
Bauman, Z. (2013): La Vie liquide. Pluriel.
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Stiegler, B. (2010): Manifeste d’Ars Industrialis. En ligne: https://arsindustrialis.org/manifeste-2010.
Vinérier, A. (2010): Freins et leviers face à une démarche de réapprentissage à l’age adulte. AFFIC-CREA 37, Tours.
Williams, M. (2000): Conclusions de la Conférence européenne sur les politiques innovatrices dans les villes, Conseil de l’Europe: Oslo, 2000.
Chris Parson a travaillé de nombreuses années sur le terrain, dans le domaine de la littératie pour adultes, il a été chargé d’enseignement en formation des adultes à l’Université de Genève de 2006 à 2018. Il préside la Coordination Romande pour la Formation de Base des Adultes (CRFBA) depuis 2012. Contact: president@crfba.ch