Comment les conventions façonnent la qualité des coopérations dans le milieu de la formation (initiale et continue)
Cet article montre comment la qualité d'une coopération dans la formation (initiale et continue) peut être théoriquement saisie et expliquée en se rapportant à la sociologie des conventions; et quelles conclusions peuvent être tirées pour l'évolution et l’amélioration de la coopération. L’argument avancé est que, dans une coopération, plusieurs acteurs individuels et organisationnels s’appuient sur des conventions de qualité différentes et divergentes, au sens de systèmes de valeurs morales, de logiques d’action et de principes de justice développés au fil du temps. La coopération et son agencement représentent un compromis entre plusieurs conventions, ce qui peut être source de potentiel, mais aussi de tensions. Ainsi, la qualité d’une coopération est le résultat de l’action coordonnée de différents acteurs et de leurs divers motifs, intérêts et orientations basés sur des conventions.
1 Introduction
La formation (initiale et continue) est dépendante de la coopération de plusieurs acteurs individuels et organisationnels. À l’échelle individuelle, ce sont entre autres le personnel de direction des organismes de formation, le personnel enseignant professionnel ainsi que les responsables administratifs, économiques ou culturels qui s’engagent dans une coopération. À l’échelle organisationnelle, il s’agit des écoles et universités, des entités publiques ou privées proposant des formations continues, mais aussi d'entreprises, syndicats, institutions culturelles, églises ou organismes de loisirs tels que des clubs de sport par exemple. Tous ces acteurs jouent leur rôle, avec différentes compétences, ressources, tâches, intérêts et valeurs, dans la planification, le développement, l’organisation et la mise en pratique d’offres de formation.
Cet article présente une manière de saisir et d’expliquer théoriquement la qualité de ces coopérations dans la formation initiale et continue. Il indique aussi quelles conclusions il est possible de tirer pour l’évolution et l’amélioration des coopérations. Pour cela, l’article utilise l’approche de la sociologie des conventions, qui est axée sur une compréhension spécifique de la qualité ne se réduisant pas à la compréhension normative usuelle de «bonne» et de «mauvaise» qualité. Au lieu de cela, il s’agit de se demander quelles conventions de qualité (au sens de systèmes de valeurs morales, logiques d’action et principes de justice développés au fil du temps) sont sous-jacentes dans la coopération sous la forme d’un compromis; et quels potentiels, mais aussi quelles tensions et quels conflits, en découlent. Ainsi, la qualité d’une coopération est le résultat de l’action coordonnée de ses différents acteurs et de leurs motifs et orientations variés.
2 Conventions de qualité
L’approche théorique de la sociologie des conventions part de l’hypothèse que dans une situation d’action coordonnée (c’est ainsi qu’elle représente une coopération entre différents acteurs (Alke, 2022)), les acteurs responsables se réfèrent à un nombre limité de conventions de qualité (Boltanski et Thévenot, 2007; Eymard-Duvernay, 1989). Ces conventions se sont développées dans les sociétés de démocratie libérale au cours d’un long processus historique, sous la forme de systèmes de valeurs morales, de logiques d’action et de principes de justice. Elles servent un intérêt commun spécifique et se sont avérées crédibles, raisonnables, appropriées et moralement justifiables au fil du temps (Boltanski et Thévenot, 2007; Leemann et Imdorf, 2019).
Le concept de qualité issu de la sociologie des conventions stipule une pluralité de logiques de qualité qui, en tant que logiques de coordination, sont amenées en situation par les différents acteurs lors de la concrétisation et de la matérialisation d’une coopération. Par conséquent, la qualité d’une coopération n’est pas un état survenu naturellement: elle doit d’abord être construite et évaluée via l'apport de ressources, d’intérêts, de valeurs et d’orientations par les différents acteurs. Elle est le résultat des attributions, investissements, objectivations et négociations de ces différents acteurs. Elle n’est pas libre de toute contradiction et n’est pas non plus définitive: elle peut à tout moment être remise en question et être dénoncée comme inacceptable.
Les conventions représentent donc un appui pour les actions coordonnées (Dodier, 2010). Elles aident à mettre de l’ordre dans des situations complexes, peu claires et peu stables dans lesquelles plusieurs acteurs se coordonnent et doivent se mettre d’accord ou, du moins, prendre une décision pour la coordination de leurs actions. Dans le même temps, les situations d’action coordonnée se distinguent par une pluralité des conventions qui peut, à son tour, donner lieu à des désaccords et des disputes. Ainsi, les conventions servent aussi d’appui pour évaluer une situation, formuler des critiques et débattre afin de déterminer quelle convention permet d’améliorer la qualité de la coopération et peut contribuer à la résolution d’un conflit; et laquelle entrave les efforts de coopération et devrait donc perdre de sa validité et de sa légitimité.
2.1 Conventions de qualité dans la formation
Le tableau 1 ci-après donne un aperçu des conventions de qualité qui se sont révélées les plus importantes jusqu’ici, et de leur transposition dans le domaine de la formation (initiale et continue). Alke (2022) a élargi et complété les outils d’analyse des conventions en se concentrant sur la thématique des coopérations dans la formation continue. La dimension «aspects et interprétations de la coopération dans le domaine de la formation continue» correspond en grande partie au résumé de ses travaux (Alke, 2022, p. 262).
Le principe de justice de la convention civique souligne les valeurs d’une société civile éclairée dans laquelle la collectivité, la solidarité et l’égalité des individus occupent une place importante. Les coopérations entre plusieurs acteurs servent un objectif inscrit dans des normes ou dans la loi: celui d’accroître la perméabilité horizontale et verticale du système éducatif, de promouvoir l’égalité des chances et de permettre les formations de rattrapage. L’éducation est une valeur en soi, sans avoir à satisfaire aucune exigence d’utilisabilité dans un contexte. L’État démocratique et les organismes à but non lucratif sont à ce titre des acteurs importants.
Ce qui détermine les actions dans la convention du marché, c’est le rapport qualité-prix. La libre concurrence ainsi que le principe de l’offre et de la demande permettent la prospérité de la coopération. Les relations de l’organisme éducatif avec son contexte sont marquées par la concurrence pour une même clientèle, qui considère l’éducation avant tout comme un investissement. Par conséquent, les coopérations sont, elles aussi, soumises aux conditions de concurrence exigeant un rapport qualité-prix optimal de l’offre éducative. Les acteurs agissent dans un esprit entrepreneurial et sont astreints au concept de nouvelle gestion publique.
La convention industrielle s’appuie sur l’intérêt commun que représentent l’efficacité, l’expertise et la prédictibilité. Cette convention trouve son origine dans le processus de travail de la production industrielle basé sur la répartition des tâches, qui s’appuie sur des connaissances scientifiques et tient compte de la fonctionnalité. La coopération entre plusieurs acteurs de l’éducation s’oriente donc vers la formation méthodique, standardisée et efficace de personnel qualifié et d’expert·e·s, pour le marché du travail en particulier.
La qualité de la convention domestique se distingue par des valeurs telles que la tradition ainsi que le placement dans une communauté et dans une relation hiérarchique. La personne et sa personnalité, ainsi que ses relations familiales, sont au centre des critères qui orientent l’action. Les coopérations ont lieu au niveau proche et local et reposent sur la confiance, sur ce qui est familier et ce qui a fait ses preuves, ainsi que sur l’expérience commune.
Le système de valeurs morales de la convention inspirée se fonde sur la conviction que dans l’éducation, la qualité vient de l’innovation et de la créativité. Par conséquent, les coopérations doivent ouvrir un espace de liberté, et permettre les processus d’apprentissage par l’erreur pour rendre possibles les nouveautés et les découvertes. Dans la convention d’opinion, la logique d’action s’applique à accroître la notoriété de l’organisme éducatif. Une coopération a lieu dès lors que les acteurs concernés peuvent profiter l’un de l’autre et améliorer leur réputation grâce à leur collaboration.
La qualité de la convention de projet, quant à elle, repose sur l'aptitude des acteurs à créer des réseaux, à agir de manière mobile et flexible et à s’engager dans des projets à durée limitée. Parmi les caractéristiques de ces coopérations, on observe une indépendance vis-à-vis du lieu grâce aux outils numériques, des rencontres en ligne, une flexibilité élevée et une propension à la mobilité.
La convention écologique n’est pas citée dans le tableau 1. Elle n’a, à notre connaissance, pas encore été abordée pour le domaine de l’éducation. Au vu du grand engagement des élèves dans le mouvement pour le climat, et compte tenu des attentes de la société vis-à-vis de l’éducation dans le cadre du développement durable, cette convention pourrait bien gagner en importance à l’avenir.
2.2 Conventions de qualité dans les coopérations
Le concept des conventions de qualité peut offrir une perspective pertinente dans les évaluations et les recherches sur les coopérations dans la formation continue. Il permet de catégoriser et de systématiser les motifs et les intérêts des acteurs de la coopération, ainsi que les mesures prises et les mécanismes.
Dans le cadre d’une étude comparative entre plusieurs pays concernant la formation continue dans les hautes écoles, Treviño-Eberhard et Kaufmann-Kuchta (2022) ont montré que les différents cadres de régulation institutionnels, dans les différents pays, conduisent à différentes formes de coordination et de justification des mesures prises pour la formation continue. Ils ont observé des situations dans lesquelles, en rapport avec la convention civique, des programmes éducatifs avaient été développés pour les étudiant·e·s salarié·e·s plus âgé·e·s dans une optique d’égalité éducative et d’intégration. La convention marchande a une grande efficacité dans des configurations où la concurrence est présente, par exemple en cas de compétition pour une jeune clientèle qui étudie à plein temps. L’orientation vers des offres de formation standardisées, qui préparent à un diplôme et qui répondent aux exigences du marché du travail, est justifiée par les acteurs en s’appuyant sur la logique de la convention industrielle. La convention d’opinion entre en jeu avec l’importance du prestige public et du statut de l’université au sein du système des hautes écoles. Les responsables s’appuient sur la convention domestique lorsqu’ils soulignent les pratiques internes éprouvées et les standards de qualité des hautes écoles afin de justifier le principe d’admission à leur cursus. La convention de projet, quant à elle, se matérialise dans des offres flexibles des hautes écoles, mises en place grâce à une coopération et une mise en réseau avec d’autres prestataires, avec pour objectif de consolider la position du programme sur le marché de la formation continue.
3 Pluralité et compromis
Dans une coopération, différents acteurs apportent leurs ressources, intérêts et orientations diverses pour mettre à disposition un programme éducatif. L’objectif est d’obtenir un bénéfice commun qui ne pourrait pas être atteint seul·e, ou d’aboutir à une meilleure qualité grâce à la coopération (Preisendörfer, 2016). Comme nous l’avons décrit ci-dessus, ces ressources, intérêts et orientations peuvent en principe être saisis comme autant de soutiens et de justifications, dans le cadre de la coordination des actions selon les sept conventions de qualité. En raison de la diversité, entre autres, de leurs fonctions au sein du système éducatif, de leurs tâches et engagements sociaux ou du cadre général de régulations local, les différents acteurs impliqués se réfèrent à différentes conventions. Par conséquent, au sein d’une même coopération, des valeurs et intérêts divers et parfois contradictoires se rencontrent.
3.1 Harmonie et perfectionnement
Dans ce contexte, les différentes conventions de qualité peuvent se compléter et se soutenir l’une l’autre, et être réunies dans un compromis harmonieux. Par exemple, dans un milieu fortement marqué par la concurrence, une coopération dans le domaine de la formation continue peut permettre une amélioration de la qualité en consolidant l’image de l’offre éducative, grâce à un marketing commun ancré dans les caractéristiques de la convention d’opinion. Suivant la convention marchande, la demande peut alors être accrue et le rapport qualité-prix amélioré.
Dans le cadre de notre propre étude dans le domaine de la formation professionnelle, nous avons examiné la coopération entre plusieurs entreprises formatrices qui se sont regroupées en réseaux d'entreprises formatrices. Grâce à un système de rotation, ce modèle de formation donne aux apprenti·e·s la possibilité d’expérimenter différentes entreprises au cours de leur apprentissage (Leemann et Imdorf, 2015). L’un des réseaux étudiés œuvre dans le domaine des transports publics. Ce modèle de formation a été présenté par ses responsables comme une solution qui permet aux entreprises de mieux se positionner sur le marché des postes d’apprentissage. Pour attirer des jeunes personnes motivées à travailler, le réseau dispose de ressources qu’une seule entreprise n’aurait pas à disposition. Deux motifs majeurs possibles sont anticipés chez les jeunes, qui sont susceptibles de déterminer leur choix de métier et leur prise de décision pour une certaine entreprise formatrice.
«Beaucoup de jeunes connaissent [nom du réseau d'entreprises formatrices]: «Ah, c’est intéressant, c’est diversifié.» Bien sûr, il y a aussi les autres qui disent: «Je souhaite faire un apprentissage chez [nom d’une entreprise de tradition].» Cela aussi, bien sûr, existe encore. Et c’est justement cette combinaison que je trouve si importante. Justement en ces temps où nous avons des difficultés à trouver suffisamment d’apprenti·e·s, les deux voies doivent nous aider: l’apprenti·e qui souhaite simplement faire tranquillement son apprentissage chez [nom de l’entreprise de tradition au sein du réseau] (…), mais aussi les autres qui se disent peut-être: «Oh, là, je pourrais essayer [nom d’une entreprise aéronautique] ou [nom d’une entreprise liée à la Confédération] ou [nom d’une société d’autobus] ou [nom d’une société d’autobus]» ou autre. Et les deux voies sont bonnes.» (Un·e représentant·e d’une entreprise formatrice)
L’un des deux motifs est ancré dans la convention inspirée et la convention de projet: le métier choisi, la branche et l’entreprise doivent garantir une formation diversifiée, captivante et variée. C’est pourquoi ce réseau ne manque pas de représenter dans ses films et affiches publicitaires, avec force de mots et d’images, l’aspect aventureux ainsi que la large diversité couverte par la branche et les différents métiers. Le réseau s’efforce de proposer une offre de formation intéressante où l’aspect de projet occupe une grande place, avec de nouveaux concepts didactiques et une philosophie de formation moderne. Le second motif, quant à lui, s’appuie sur des arguments qui correspondent à la convention domestique. L’entreprise de tradition évoquée dans la citation signifie pour l’apprenti·e un enracinement géographique dans une zone montagneuse de Suisse. Une jeune personne doit aussi avoir la possibilité d'effectuer son apprentissage «tranquillement» dans l’environnement qui lui est familier, sans être constamment arrachée de son entreprise. Ainsi, grâce à la coopération entre différentes entreprises formatrices, ce modèle de formation offre une possibilité de répondre aux besoins différents, voire contraires, des apprenti·e·s. Il permet de couvrir divers intérêts à la fois.
3.2 Conflit et entente
Cependant, au sein d’une coopération, les différentes conventions peuvent aussi entrer en conflit et mener à des contradictions et des ambivalences, car leurs logiques d’action sont, par nature, astreintes à différentes valeurs d’intérêt commun (Knoll, 2015). Par exemple, la convention civique (dans le cadre de laquelle l’individu doit mettre de côté ses propres intérêts au profit de l’intérêt commun) entre en conflit avec la convention marchande (qui s’oriente vers le profit individuel) ou encore avec la convention inspirée (qui est axée sur les domaines intellectuels sans tenir compte de la réalité sociale et économique).
Dans de telles situations où plusieurs systèmes de valeurs et principes de justice se révèlent incompatibles, il est théoriquement imaginable que, par voie de relativisation, deux systèmes de valeurs différents restent valides au même titre et en même temps. Les disputes sont alors réglées de manière ouverte et souple, pour éviter qu’une convention ne soit enterrée à cause de la critique radicale venue d’une autre convention. Mais il est aussi possible, au moyen d’un contrôle (cf. tableau 1), de déterminer quelle convention est juste et appropriée, si bien qu’en situation, un certain principe de justice perde de sa validité et l’autre prenne le dessus. Sur le plan empirique, la solution qui est la plus souvent utilisée semble toutefois être celle d’un compromis. Ce dernier permet de soumettre la dispute quant au champ d’application de différentes conventions, et de faire simultanément justice à deux conventions de qualité (ou plus).
Dans ce contexte, une étude d’Alke (2019) montre que dans le secteur des universités populaires, les responsables doivent concevoir leur programme en suivant non seulement la convention civique et la convention inspirée (qui se reflètent dans la mission éducative générale de cette institution) mais aussi, de plus en plus, la convention marchande. Les offres de formation doivent être rentables et ne pas descendre en dessous d’un certain seuil de couverture des coûts. Les nouvelles structures de gouvernance, mises en place par les comités administratifs et politiques communaux, sont axées sur la concurrence et le résultat. Elles provoquent donc la remise en question de certaines offres relevant de la formation de rattrapage, de l’intégration ou du domaine créatif. L’auteur décrit comment les responsables de formation des universités populaires tentent de traiter ce conflit de manière stratégique, notamment grâce à un compromis entre les conventions divergentes au moyen d’un inter-financement. Selon l’auteur, ce procédé d’inter-financement s’est maintenant généralisé dans les universités populaires. Cet investissement dans une nouvelle forme de mécanisme de financement (un procédé standard qui permet de concilier les exigences de coûts avec celles liées à l’intégration et la créativité) permet de venir à bout des tensions. Dans le langage de la sociologie des conventions, l’inter-financement peut être qualifié d’objet de compromis.
4 Stabilisation et transformation des compromis grâce aux investissements de forme
Grâce à la perspective théorique de la sociologie des conventions, nous pouvons mieux saisir la qualité des coopérations, ainsi que leurs tensions et frictions sous-jacentes. Pour cela, nous ne devons pas concevoir les coopérations uniquement comme des arrangements sous forme de compromis formalisés, institutionnalisés et clos; il faut aussi les considérer comme le résultat de processus de coordination toujours ouverts et dynamiques entre différents acteurs et leurs intérêts, valeurs et logiques d’action.
Dans une coopération, beaucoup de situations sont en fait des compromis durables, perçus comme une évidence; ces derniers ont été consolidés au moyen d’investissements dans leur forme, et à présent routine et confiance sont à l’œuvre (Boltanski, 2012; Boltanski et Thévenot, 2007). Les investissements dans la forme servent à généraliser et stabiliser les logiques d’action, les orientations et les systèmes de valeurs des conventions (Dodier, 2010; Thévenot, 1984). Ces formes sont, d’une part, de nature matérielle. Dans le contexte des coopérations dans la formation continue, il s'agit d’objets tels que les contrats de coopération, des programmes, des lieux de formation et des logos. D’autre part, il existe aussi des dispositifs immatériels tels que les processus de recrutement, les règles de sélection, la clé de répartition du financement ou les cognitions sociales (par ex. l’accent mis sur l’apprentissage par l’expérience ou sur l’apprentissage autodirigé).
«[Les compromis] peuvent être consolidés en les ancrant sous forme d’objets et d’institutions, réunis dans les éléments pertinents de différents mondes [c’est-à-dire des différentes conventions, RL] qui se trouvent associés dans ledit compromis.» (Boltanski et Thévenot, 2011, p. 67)
Néanmoins, la situation peut à tout moment se trouver déstabilisée, et le caractère juste et approprié de l’arrangement sera interrogé. Dans de tels moments critiques, une convention de qualité se trouve critiquée et dénoncée du point de vue d’une autre convention de qualité, et le compromis existant est remis en question. Pour ne pas mettre en danger la coopération, les acteurs concernés doivent alors chercher des solutions et mettre au point un nouveau compromis.
À ce propos, voici deux exemples tirés de l’étude évoquée sur les réseaux d'entreprises formatrices (Leemann et Imdorf, 2015). Dans les années suivant sa fondation, diverses situations problématiques sont survenues au sein du réseau. Un problème se profilait concernant la question des coûts. Il s'avérait impossible de respecter l’exigence de proposer des prix adaptés au marché malgré le concept de formation ambitieux. Ceci a amené le réseau à ne plus accepter de petites entreprises ne possédant que peu de postes de formation puisque, chez ces dernières, le rapport entre les dépenses investies et les recettes n’était pas avantageux. Avec le nouveau compromis de coopération, des entreprises ont ainsi été sacrifiées, notamment celles qui avaient amené des qualités relevant de la convention domestique (familiarité d’une petite entreprise) et de la convention inspirée (p. ex. des entreprises de transport en commun spéciales telles que les funiculaires) dans le modèle d’apprentissage.
Une autre problématique est apparue en raison des changements d’entreprise répétés des apprenti·e·s. À cause de cela, l’attachement à l’entreprise était très instable. Or le développement à long terme de personnel qualifié pour la branche en réseau des transports en commun ne peut être réalisé que par ces changements d’entreprise. Mais cet aspect entrait en conflit avec les intérêts d’exploitation de chaque société individuelle, dont l’objectif est d’intégrer l’apprenti·e dans la culture d’entreprise et de l'attirer vers sa propre société (des motifs qui relèvent de la convention industrielle et de la convention domestique). Des revendications se firent entendre, visant à dissoudre en partie le système de rotation entre les entreprises et à doter les apprenti·e·s d’une plus forte identité d’entreprise. Une première étape consista à instaurer un processus de candidature pour la dernière année d’apprentissage: les jeunes devaient déposer leur candidature auprès des sociétés membres. Toute leur dernière année d'apprentissage se déroulait ensuite dans cette même société, ce qui permettait d’accroître l’attachement à l’entreprise. Ce nouvel arrangement peut être identifié comme un objet de compromis entre les exigences de la convention domestique et celles de la convention de projet.
5 Possibilités d'évolution des coopérations
Pour faire évoluer une coopération et en améliorer la qualité, il est recommandé dans un premier temps, grâce aux outils des conventions de qualité, de recenser, systématiser et catégoriser les ressources, intérêts, valeurs et orientations apportés par ses différents acteurs. Sur quelles conventions de qualité s’appuient-ils? Dans un deuxième temps, il est alors possible d’analyser les tensions, critiques et problématiques selon la perspective de la pluralité des conventions et des formes de compromis. Quels compromis sont visibles et quelles formes les stabilisent? Qu’est-ce qui fait l’objet de critiques, qu’est-ce qui pose problème et quelle convention est ici dénoncée? Quels sont les motifs de la critique, qu’est-ce qui doit changer, et à quelle convention se réfère l’acteur dans sa justification? La dernière étape permet de débuter la recherche d’une solution, dans laquelle le compromis jusqu’alors existant et ses formes seront transformés en un nouveau compromis avec de nouvelles formes.
Cet article est une traduction d’une version originale en allemand. Cette dernière se base sur certaines références (en allemand) qui sont elles-mêmes des traductions du français ou de l’anglais, notamment celles relatives à la sociologie des conventions. Pour cette raison, il est possible que certains termes (y. c. des citations) traduits ici diffèrent en partie des références originales en français ou en anglais.
Bibliographie
Alke, M. (2019): Rechtfertigungsstrategien in der Programmgestaltung in Volkshochschulen im Zuge veränderter Governance-Strukturen aus einer konventionentheoretischen Perspektive. Dans: C. Imdorf, R. J. Leemann und Ph. Gonon (Eds.). Bildung und Konventionen. Wiesbaden, Springer: 461–482. https://doi.org/10.1007/978-3-658-35825-9_11
Alke, M. (2022): Kooperation als Koordinationsform im Spannungsfeld pluraler Handlungs- und Beziehungslogiken. Zum Analysepotenzial der Soziologie der Konventionen für die erziehungswissenschaftliche Organisations- und Steuerungsforschung. Dans: M. Alke et T. C. Feld (Eds.). Steuerung von Bildungseinrichtungen. Wiesbaden, Springer: 251–278. https://doi.org/10.1007/978-3-658-23301-3_16
Boltanski, L. (2012): Love and Justice as Competences. Three Essays on the Sociology of Action. Cambridge Polity Press. [Boltanski, L. (1990). L'amour et la justice comme compétences. Trois essais de sociologie de l'action. Paris, Éditions Métailié.]
Boltanski, L. et L. Thévenot (2007): Über die Rechtfertigung. Eine Soziologie der kritischen Urteilskraft. Hamburg, Hamburger Edition. [Boltanski, L. et L. Thévenot (1991). De la justification. Les économies de la grandeur. Paris, Editions Gallimard.]
Boltanski, L. et L. Thévenot (2011): Die Soziologie der kritischen Kompetenzen. Dans: R. Diaz-Bone (Eds.). Soziologie der Konventionen. Grundlagen einer pragmatischen Anthropologie. Frankfurt/M; New York, Campus: 43–68. [Boltanski, L. and L. Thévenot (1999). The Sociology of Critical Capacity. European Journal of Social Theory 2(3): 359–377.]
Dodier, N. (2010): Konventionen als Stützen der Handlung. Elemente der soziologischen Pragmatik. Trivium 3(5): 1–25. https://doi.org/10.4000/trivium.3565 [Dodier, N. (1993). Les appuis conventionnels de l’action. Eléments de pragmatique sociologique. Réseaux 11(62): 63–85.]
Eymard-Duvernay, F. (1989): Conventions de qualité et formes de coordination. Revue économique 40(2): 329–359. https://doi.org/10.2307/3502117
Knoll, L. (2015): Organisationen und Konventionen. Dans: L. Knoll (Eds.). Die Soziologie der Konventionen in der Organisationsforschung. Wiesbaden, Springer VS: 9-29. https://doi.org/10.1007/978-3-658-02007-1_1
Leemann, R. J. et C. Imdorf (2019): Das Potenzial der Soziologie der Konventionen für die Bildungsforschung. Dans: C. Imdorf, R. J. Leemann und P. Gonon (Eds.). Bildung und Konventionen. Wiesbaden, Springer: 3–45. https://doi.org/10.1007/978-3-658-23301-3_1
Leemann, R. J. et C. Imdorf (2015): Ausbildungsverbünde als Organisationsnetzwerke. Dans: L. Knoll (Eds.). Konventionen und Organisationen. Die Soziologie der Konventionen in der Organisationsforschung. Wiesbaden: Springer: 137–161. https://doi.org/10.1007/978-3-658-02007-1_6
Preisendörfer, P. (2016): Organisationssoziologie. Grundlagen, Theorien und Problemstellungen. Wiesbaden, VS Verlag. https://doi.org/10.1007/978-3-658-10017-9
Thévenot, L. (1984): Rules and implements: investment in forms. Social Science Information 23(1): 1–45. https://doi.org/10.1177/053901884023001
Treviño-Eberhard, D. et K. Kaufmann-Kuchta (2022): Does it make a difference? Relations of institutional frameworks and the regional provision of continuing higher education in England and Spain. Education Sciences 12: 132. https://doi.org/10.3390/educsci12020132